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| Pascal Bruckner Misère de la prospérité - La religion marchande et ses ennemis Le Livre de Poche 2004 / 5.00 € - 32.75 ffr. / 246 pages ISBN : 2-253-06772-5 FORMAT : 11 x 18 cm
Cet ouvrage est paru pour la première fois en février 2002 (Grasset) Imprimer
Que sont devenues les promesses de 1989 ? La chute du Mur de Berlin semblait sonner les retrouvailles universelles de la démocratie et de la prospérité ; elle devait aussi signifier, pour certains, lirrésistible ascension du modèle libéral, prélude à la «fin de lhistoire». De la débâcle générale des idéologies, il ne reste désormais quune croyance, celle en la suprématie de l'économie. Cette dernière ambitionne, dénonce Pascal Bruckner, «de reconstruire lintégralité des sociétés humaines, de se hisser au rang de principe général daction.» Cette nouvelle religion a ses fidèles, toujours plus nombreux, mais aussi ses sceptiques. En effet, une fois passées les trop rapides promesses sur la mondialisation heureuse, les lendemains qui déchantent ne furent pas longs à venir et les orphelins de l«Est» comme les déçus de l«Ouest » se sont prestement faits prophètes de la chute de «lEmpire» (i.e. américain et capitaliste). Doù la grande vague danti-capitalisme que nous connaissons aujourdhui.
Cette dernière, analyse Pascal Bruckner, est une réaction qui ne vit que sur ce quelle dénonce et noffre quune alternative fictive à la domination du tout économique. Amender le système, voilà, tout au plus, ce que proposent les nouveaux bigots dAttac, du Monde diplomatique ou de la Confédération paysanne. Le capitalisme leur est une sorte d «ennemi utile», qui permet toutes les diabolisations, toutes les caricatures. En se penchant sur cette «vieille haine» et son corollaire, «le désarroi intellectuel», Pascal Bruckner rappelle que la critique soi-disant radicale est incluse dans la dynamique du capitalisme, qui même lui doit sa force, sa complexité, ses rebonds. «Ambiguïté de lanticapitalisme contemporain : loin de mettre au régime laffairisme ambiant, il le renforce en se flattant de le corriger. On reste avec lui dans la logique de ce que lon souhaite dépasser.» Les néo-libéraux partagent avec les anticapitalistes une même conception de la structure économique, indépassable; ils ne sopposent que sur les finalités. Réactualisation de la vieille rengaine qui renvoie dos à dos les marxistes et les capitalistes.
Pascal Bruckner entreprend cependant, en retraçant une généalogie du libéralisme, de séparer le bon grain de livraie. Il réfute notamment toute la tradition néo-libérale qui tient à instaurer, à linstar de Hayek, une lecture cosmogonique du marché, hissée au rang de métaphore ultime pour expliquer lordonnancement du monde. Et de citer Raymond Aron : «Le libéralisme a souvent été travesti en loi de la nature alors quil ne sépanouit quavec lidée de lart politique et de lart le plus haut.» Enfin, Pascal Bruckner propose, ou plutôt caresse rapidement le projet de «laïciser» lhéritage et la pensée catholiques, qui permettent selon lui de prendre une double distance tant par rapport à lapologie du système économique quavec son déni radical. En définitive, seule lindifférence aux valeurs de léconomisme triomphant, et non une résistance bruyante, pourra permettre de «s'affranchir de léconomie».
Ce petit traité contre l'économisme triomphant, sil ne bouleversera pas le lecteur, est honnête, clair, efficace. Il présente une synthèse intelligente de ce que lesprit critique occidental a offert, depuis les prémisses des Lumières, comme considérations sur les conquêtes de lidéologie économique. Un bémol toutefois : si Pascal Bruckner fustige avec talent la «pensée molle» des ultra-libéraux comme des «anti», ses propositions sont aussi légères que clairsemées. On lira avec plus de profit louvrage qui semble en être la source ou du moins en «théorise» le propos dune façon inégalée jusquà aujourdhui : De la Brièveté de la vie, de Sénèque.
Vianney Delourme ( Mis en ligne le 03/04/2004 ) Imprimer | | |
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