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Poches -> Histoire |
| Paul Krugman L'Amérique que nous voulons Flammarion - Champs 2009 / 8 € - 52.4 ffr. / 475 pages ISBN : 978-2-08-122897-9 FORMAT : 11cmx18cm
Première publication en août 2008 (Flammarion)
L'auteur du compte rendu: Gilles Ferragu est maître de conférences en histoire contemporaine à luniversité Paris X Nanterre et à lIEP de Paris. Imprimer
Paul Krugman, économiste, professeur à Princeton, prix Nobel déconomie en 2008, éditorialiste au New York Times
et opposant convaincu (et militant) à Georges W. Bush
cela fait beaucoup de casquettes, mais on conviendra que cela lui confère aussi une certaine autorité. Lanti Ann Coulter, alors ? En fait, LAmérique que nous voulons nest pas un énième pamphlet anti-Bush : mettant en uvre une réflexion à la fois politique et économique sur le moyen terme historique, P. Krugman dresse le bilan dune Amérique qui, des années 60 à nos jours, sest engagée sur une pente douteuse, du fait de ses choix politiques.
Paul Krugman part dans cet ouvrage dun constat (appuyé par une forte enquête statistique élaborée par T. Piketty et E. Saez) : la société américaine actuelle, en terme dinégalités économiques, ressemble plus à celle de lère pré-New Deal quà celle des années 50-60. Une société qui sest appauvrie (inégalement) du fait de décisions politiques visant à démanteler lhéritage de Roosevelt et donc les conquêtes du New Deal. Et donc, si lAmérique a connu une révolution au XXe siècle, ce serait bien celle qui la ramenée à une situation économique et sociale proche de celle des années 20
Cette hypothèse, P. Krugman entend la démontrer en dressant tout dabord un tableau de lhistoire américaine sous langle de la répartition des richesses et des inégalités, tableau qui part de la grande dépression jusquà nos jours. Discutant les explications socio-économiques traditionnelles (le boom des métiers hautement qualifiés, le déclin des syndicats du fait de changements structurels
), P. Krugman met en lumière quelques anomalies qui nécessiteraient dautres facteurs dexplication. Son idée force, cest le lien établi entre léconomique et le politique, un lien assez fort pour aller à lencontre de la vulgate libérale : loin dêtre lotage des faits économiques, le politique serait au contraire à la tête de lattelage.
Et le politique, en loccurrence, cest forcément le «conservatisme de mouvement», apparu dans les années 60, dans la foulée de Barry Goldwater, candidat républicain malheureux de 1966, et incarné par un Ronald Reagan, après une première «transition» nixonienne. Un courant politique dont P. Krugman remonte le cours, éclaire les réseaux, les concepts, les manières (le «style paranoïaque» mis en lumière par Richard Hofstader dans les années 60 sexprime dans la rhétorique néo-conservatrice), les ténors enfin (avec dautant plus dironie que les économistes ne sont arrivés que sur le tard dans la famille des néo-conservateurs). Un courant qui, loin de viser au consensus, sépanouit au contraire dans le clivage politique, dans une guerre froide à usage interne entre «libéraux» et «conservateurs».
LAmérique que nous voulons pourrait être alors la version «économiste» de Whats the matter with Kansas ? (Pourquoi les pauvres votent à droite ?, ouvrage qui entend montrer les origines culturelles du conservatisme de mouvement et de son succès), mais P. Krugman prend une certaine distance avec le livre de T. Frank et cherche ailleurs le péché originel, peut-être dans lincapacité de nombreux Américains à admettre la déségrégation, doù des réactions politiques extrêmes, sur fond de discours alarmistes : les années 60 ou la décadence ? On se reportera avec profit à louvrage dirigé par R. Huret, Les Conservateurs américains se mobilisent, pour compléter par des coups de sondes socio-historiques ce tableau impressionniste.
La deuxième partie de louvrage quitte le champ historique et analytique pour celui de la prospective : publié avant lélection de novembre et la victoire de Barack Obama, le livre propose déjà, sinon le programme dun nouveau New Deal, au moins les grands axes dune cure dégalitarisme politique, sur fond de repositionnement international.
Facilement stigmatisé comme un représentant des intellectuels de la côte Est, P. Krugman figure bien évidemment comme un opposant éclairé au conservatisme de mouvement, et plus spécifiquement à un hypothétique «bushisme». Mais LAmérique que nous voulons est dabord le tableau dune histoire de léconomie politique américaine, une histoire critique. Les transformations de la société américaine (et occidentale) ont entraîné des mutations politiques fortes, et facilité larrivée à la tête du parti conservateur dun courant réactionnaire, hostile à lEtat social (voire à lEtat tout court ?). Cet anti-étatisme sillustre aujourdhui par le démantèlement dun héritage politique et social, celui du New Deal, un héritage que le soldat Krugman entend bien préserver.
Un essai engagé donc, mais tout dabord un essai éclairé, qui vulgarise des théories économiques et propose une lecture originale du rapport entre léconomie et la politique. La lecture du moment, assurément.
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 15/09/2009 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:L'Amérique dérape de Paul Krugman Pourquoi les pauvres votent à droite de Thomas Frank Les Conservateurs américains se mobilisent de Romain Huret , Collectif | | |
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