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Qu’est-ce qu’un grand homme ? | | | Pierre Maraval Théodose le Grand (379-395) - Le pouvoir et la foi Fayard 2009 / 25 € - 163.75 ffr. / 381 pages ISBN : 978-2-213-64263-5 FORMAT : 14,5cm x 22cm
L'auteur du compte rendu : Yann Le Bohec enseigne lhistoire romaine à la Sorbonne. Il est lauteur de plusieurs ouvrages adressés tant aux érudits quau grand public. Il a notamment publié LArmée romaine sous le Haut-Empire (Picard, 3e édit., 2002), LArmée romaine sous le Bas-Empire (Picard, 2006, prix Millepierres de lAcadémie française), César, chef de guerre (Éditions du Rocher, 2001), La Bataille du Teutoburg (Les Éditions Maisons, 2008) et LAfrique romaine (Picard, 2005). Imprimer
Le livre que nous présentons ici a été écrit par un grand érudit, comme le montrent la présentation des sources, la courte bibliographie et tous les commentaires ; les historiens de profession sy attendaient, dailleurs, car lauteur a publié dans la collection «Nouvelle Clio» un ouvrage de référence, devenu indispensable pour ceux qui sintéressent à cette époque et à lhistoire du christianisme. Il est en outre bien écrit et il se lit avec plaisir.
Le titre de ce livre amène à poser une question : quest-ce quun grand homme ? Vaste sujet, dira-t-on. Pierre Maraval doit pourtant bien avoir son idée sur ce sujet, puisquil nhésite pas à intituler cet ouvrage Théodose «le Grand». Dailleurs, dans sa conclusion, il réfute le point de vue très critique dAndré Piganiol, au motif que ce dernier se serait appuyé surtout sur Zosime, un historien qui était païen et qui, de ce fait, ne pouvait pas être objectif.
Théodose Ier appartient à la lignée des empereurs romains et chrétiens qui ont régné durant la période appelée Bas-Empire par les uns, Antiquité Tardive par les autres, ces derniers jugeant péjorative lexpression de «Bas-Empire». Né en 347, Théodose Ier a régné depuis 379 jusquà sa mort en 395. Cest après le désastre dAndrinople (378), qui vit lempereur Valens vaincu et tué par les Wisigoths, quil est arrivé au pouvoir, grâce à lappui de larmée, comme le rappelle à juste titre lauteur. Il massacra quelques Goths et conclut un accord avec eux, les laissant vivre à lintérieur de lempire. Puis il se rendit à Constantinople où il accomplit une uvre très vaste dans le domaine de la législation (379-383). La grande affaire de ce règne fut la religion. Dès 381, Théodose sattaqua aux hérétiques, en particulier à ceux qui croyaient que le Christ fut un homme créé par Dieu, les ariens, et à ceux qui cherchaient une troisième voie. Il défendait le point de vue des nicéens, pour qui le Christ est «Dieu, fils de Dieu, engendré, non pas créé». Il noublia pas de sen prendre aux schismatiques, en particulier aux donatistes africains qui refusaient de considérer comme membres du clergé ceux qui avaient failli dans les persécutions du début du IVe siècle et ceux que ces derniers avaient ordonnés comme prêtres ; il est vrai que le donatisme se développa en Occident, hors du domaine de ce souverain. Il ne négligea pas non plus les païens et le grand conflit de lépoque lopposa aux sénateurs de Rome ; ces derniers voulaient conserver dans leur lieu de réunion, la curie, un autel de la déesse Victoire. Il fut contraint de se détourner de ces affaires pour soccuper dun usurpateur, Maxime, comte de Bretagne, et pour conclure une paix avec lIran. Puis il se rendit en Italie pour visiter Rome et rencontrer s. Ambroise, évêque de Milan. De retour à Constantinople, il soccupa encore de religion, cette fois pour persécuter les Juifs et les païens. Une nouvelle usurpation, celle dEugène, interrompit ces activités et le mena à la victoire, à la bataille de la Rivière Froide. Cétait peu avant sa mort. Juste avant desquisser un bilan de luvre accomplie par Théodose, lauteur rappelle quil a laissé des bâtiments dans sa capitale, Constantinople. Au total, Pierre Maraval conclut : «Bilan
assez positif». Et il ajoute : «On doit reconnaître que
».
Il est sûr que Théodose Ier a bien défendu la foi nicéenne. Pour le reste, il est probable que beaucoup de gens nont pas partagé ladmiration de Pierre Maraval, et que dautres ne la partagent toujours pas. Les spécialistes dhistoire militaire (P. Southern et K. Dixon, Ph. Richardot, oubliés dans la bibliographie) constatent quil a été totalement incapable de chasser les Goths qui sétaient installés par la force dans lempire, eux qui avaient expulsé de leurs terres et tué des milliers de paysans ; et pourtant il ne sagissait que dune partie du peuple goth. Et ce nest pas parce que lempereur a dit quil les avait installés de son plein gré quil faut le croire ; car, sil avait voulu les installer, pourquoi a-t-il commencé par leur faire une guerre quil a perdue ? En Orient, il a conclu une paix désavantageuse, laissant aux mains de lIran les trois-quarts de lArménie, jadis protectorat romain. Et il vaut mieux ne pas parler de la Mésopotamie. Il na connu le succès que contre dautres Romains, dans des guerres civiles ; cest dire dans quel état de déliquescence se trouvaient lÉtat romain et son armée.
Les juristes modernes, quant à eux, nadmirent son programme législatif que pour la quantité, car le contenu manifeste lardeur dun maniaque de la réglementation, attentif à tous les détails de la vie quotidienne ; il faut attendre le XXe siècle pour voir des institutions sintéresser daussi près à des détails sans intérêt. Et ce nest pas tout. Les ariens nétaient certainement pas remplis dadmiration pour ce personnage ; car il a puni «toutes les hérésies» (p.103). Les Juifs non plus neurent pas de raisons de se réjouir de son passage au pouvoir (pp.258-260). Ils furent soumis aux tribunaux ecclésiastiques, le prosélytisme fut interdit, les mariages mixtes assimilés à des adultères et punis de mort, et ils neurent pas le droit davoir de lieux de culte dans Constantinople ; ailleurs, de temps en temps, les Chrétiens faisaient des feux de joie en incendiant une synagogue. Avec cela, on nous dit que leur culte ne fut pas condamné. Les païens auraient eu à lui reprocher laffaire de lautel de la Victoire, là encore un épisode qui concerna lOccident, mais auquel lOrient ne fut pas indifférent. Ils auraient eu aussi à lui reprocher des destructions de temples (pp.193-200) et une interdiction du culte accompagnée de nouveaux actes de vandalisme (pp.247-258). Ajoutons à la liste des non admirateurs les homosexuels : «Les homosexuels passifs sont condamnés au bûcher» (p.93) ; on peut au moins espérer que les actifs furent mieux traités.
Au «bilan», et à notre avis, Théodose Ier fut un grand nicéen ; il ne fut pas un grand empereur.
Yann Le Bohec ( Mis en ligne le 13/10/2009 ) Imprimer | | |