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Histoire & Sciences sociales -> Antiquité & préhistoire |
| Mireille Hadas-Lebel Jérusalem contre Rome CNRS éditions - Biblis 2012 / 12.15 € - 79.58 ffr. / 570 pages ISBN : 978-2-271-07303-7 FORMAT : 10,8 cm × 17,8 cm
L'auteur du compte rendu : Emmanuel Bain est agrégé dhistoire et docteur en histoire médiévale. Sa thèse a porté sur «Église, richesse et pauvreté dans lOccident médiéval. Lexégèse des Évangiles aux XIIe-XIIIe siècles». Imprimer
Jérusalem contre Rome est la réimpression (plutôt quune nouvelle édition), dans une autre collection, dun ouvrage paru en 1990. Ce livre de référence se trouve donc de nouveau disponible, et pour un coût peu élevé, même si cest au prix de la qualité de limpression qui est peu soignée.
Le titre de louvrage est en partie trompeur : létude ne porte pas sur les luttes menées par les Juifs contre Rome, mais sur la vision de Rome par les Juifs entre le IIe s. av. J.-C. et le IVe s. ap. J.-C., qui est, de fait, très négative : contrairement à la plupart des peuples vaincus intégrés dans lEmpire romain, le peuple juif maintient au long des siècles son hostilité à Rome et cest en ce sens que Jérusalem est contre Rome. La thèse que soutient Mireille Hadas-Lebel est que cet antagonisme sexplique essentiellement par des motifs religieux.
Dans cette perspective, l'auteur, professeur émérite à la Sorbonne et spécialiste reconnue de lhistoire du judaïsme antique, a dû consulter une quantité de sources impressionnante qui implique la connaissance du grec ancien, de lhébreu et de laraméen, et dont la nature rend parfois lexploitation difficile : la littérature rabbinique, qui réclame une acuité particulière pour y déceler des traces de lhistoire. Bien que le décryptage de ces sources demande un grand degré dexpertise, lauteur réussit à être toujours dune grande clarté dans un style élégant et dune lecture agréable.
Louvrage est composé de trois parties. La première, qui en occupe plus de la moitié, est consacrée à «limage temporelle de Rome». Lauteur montre que, du premier traité dalliance entre Rome et les Juifs en 161 à lentrée de Pompée dans le Temple en 63 av. J.-C., limage politique de Rome est très positive : elle est perçue comme une cité dont la puissance militaire repose sur un régime politique non autoritaire et sur la vertu des Romains. Après 63 av. J.-C., alors que les traités d«amitié» manifestent davantage la soumission de la Judée, puis quand sinstalle lEmpire qui envoie des procurateurs souvent vénaux, la puissance militaire de Rome devient menaçante. Pourtant, des intellectuels comme Philon dAlexandrie et Flavius Josèphe, au Ier siècle ap. J.-C., continuent à faire léloge de Rome, y compris après la destruction du Temple. Les pages consacrées à ces auteurs sont parmi les plus éclairantes du livre : M. Hadas-Lebel explique, de façon très convaincante, la stratégie de Flavius Josèphe qui est certes dépendant des empereurs qui le protègent, mais dresse un tableau idéalisé des relations entre Juifs et Romains au début de lEmpire afin de fournir aux empereurs de son temps un modèle à imiter.
Les sources qui séchelonnent du IIe au IVe s. ap. J.-C. font lobjet dune étude minutieuse dont les résultats sont toutefois un peu décevants car elles ne sintéressent pas aux événements politiques, quand elles névitent pas volontairement den parler. Ainsi bien des révoltes importantes, ou même la prise du Temple, laissent des traces très faibles dans ces sources. Outre des points de détail, et la perception de différences selon les époques, il en ressort principalement que lhostilité à Rome perdure.
La deuxième partie du livre est consacrée à «limage religieuse et morale de Rome». Il nest pas surprenant de constater que limage biblique du paganisme (condamné pour idolâtrie et perversion morale) est progressivement reportée sur Rome. Le culte impérial est lélément de la religion romaine qui suscite la plus grande réprobation et la réflexion la plus aboutie sur la façon de le contourner sans heurter de front le pouvoir romain. «Limage morale de Rome» devient au IIe siècle déplorable : lorgueil, la cruauté, la cupidité en sont les caractéristiques essentielles.
La dernière partie, sur la place de «Rome dans la perspective eschatologique», permet de modifier lapproche. M. Hadas-Lebel y soutient lidée que la vigueur du courant mystique apocalyptique entre le Ier s. av. J.-C. et le IIe s. ap. J.-C. a été une des origines majeures des multiples révoltes anti-romaines, encouragées par lannonce de la chute prochaine de Rome. En revanche, après le IIe siècle, le discours eschatologique exhorte à davantage de patience en apportant la consolation dune disparition à venir de la puissance romaine.
Cet ouvrage, en sappuyant sur des sources difficiles à maîtriser, permet donc de suivre, sur une longue période, la vision de Rome par les «vaincus», ce qui constitue un cas unique dans lEmpire romain et de ce fait particulièrement intéressant, même si la spécificité religieuse des Juifs leur refus radical du polythéisme et des sources étudiées fait que ce cas nest pas représentatif de lattitude générale des peuples vaincus vis-à-vis des Romains.
Emmanuel Bain ( Mis en ligne le 27/11/2012 ) Imprimer
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