| Laurent Bricault Les Cultes isiaques dans le monde gréco-romain Les Belles Lettres 2013 / 35 € - 229.25 ffr. / 575 pages ISBN : 978-2-251-33969-6 FORMAT : 13,5 cm × 21,0 cm
L'auteur du compte rendu : Sébastien Dalmon, diplômé de lI.E.P. de Toulouse, titulaire dune maîtrise en histoire ancienne et dun DEA de Sciences des Religions (EPHE), est actuellement conservateur à la Bibliothèque Interuniversitaire de la Sorbonne à Paris, où il est responsable du CADIST Antiquité. Il est engagé dans un travail de thèse en histoire sur les cultes et représentations des Nymphes en Grèce ancienne. Imprimer
Laurent Bricault, docteur en égyptologie et professeur dhistoire romaine à lUniversité de Toulouse II Le Mirail, a écrit de nombreux ouvrages sur les cultes isiaques dans le monde gréco-romain, depuis sa thèse sur les épiclèses grecques et latines dIsis, de Sarapis et dAnubis (Myrionymi, B.G. Teubner, 1996) jusquà un recueil sur les monnaies antiques où sont figurées ces divinités égyptiennes ayant essaimé dans le monde méditerranéen hellénistique puis romain (Sylloge Nummorum Religionis Isiacae et Sarapiae, de Boccard, 2008), en passant par les trois volumes du Recueil des Inscriptions concernant les cultes isiaques (RICIS, de Boccard, 2005), le très utile Atlas de la diffusion des cultes isiaques (de Boccard, 2001) ou un ouvrage de vulgarisation sur Isis, la dame du Nil (Larousse, 2008), écrit en collaboration avec le journaliste Paul-Jean Franceschini, sans oublier son Isis, dame des flots (Université de Liège, 2006). Il était donc tout qualifié pour nous offrir le présent recueil fournissant la traduction et le commentaire de plusieurs centaines de documents sur les cultes dorigine égyptienne dans le monde gréco-romain.
Ces documents ne sont pas uniquement textuels (même si lon y retrouve bien sûr la célèbre épiphanie dIsis dans lÂne dor ou Les Métamorphoses dApulée), mais également épigraphiques (les nombreuses inscriptions grecques et latines témoignant du succès de ces cultes), iconographiques (statues imposantes, peintures murales, mais également bijoux, statuettes, amulettes, céramiques ou monnaies) ou archéologiques (vestiges de sanctuaires). Le présent recueil est donc richement illustré, et cest lun de ses indéniables avantages, même si lon peut regretter que les images, toutes en noir et blanc, ne soient pas toujours dune qualité extraordinaire, notamment quand elles sont très petites.
Le recueil est organisé de façon thématique, mêlant inextricablement les différents types de documents. Après une introduction retraçant de manière très précise les étapes de lhistoriographie des cultes dIsis et Sarapis, la première partie est consacrée au cercle divin isiaque, présentant tout dabord le nouveau couple divin alexandrin, Isis et Sarapis. La déesse change quelque peu de nature par rapport à lantique déité égyptienne, tandis que le dieu, bien que présenté par plusieurs sources comme originaire de Sinope sur la mer Noire, est issu en fait dun syncrétisme entre les égyptiens Apis et Osiris et les grecs Zeus et Hadès, sans que les étapes de lélaboration de cette nouvelle figure divine ne soient forcément claires. Il faut ajouter au couple leur fils Harpocrate, version hellénisée dHorus enfant, ainsi que le dieu à tête de chacal Anubis et, plus rarement, Boubastis (version grecque de Bastet), Nephthys, Apis ou Osiris lui-même (parfois distingué de Sarapis).
La deuxième partie traite des facteurs et vecteurs de diffusion du culte, qui sopère souvent de façon propagandiste. Le culte dIsis et Sarapis a détroits rapports avec le pouvoir, celui des souverains lagides à lépoque hellénistique (plutôt à partir de Ptolémée II que Ptolémée Ier), mais aussi celui des souverains maurétaniens Juba II et Cléopâtre Séléné (fille de la dernière reine lagide) ou des empereurs romains de certaines dynasties (ainsi des Flaviens ou des Sévères). Les voies de la diffusion suivent souvent les routes commerciales. Une première phase senclenche au début du IIIe siècle av. J.-C. dans le monde grec ; elle est surtout le fait de commerçants égyptiens (plus que simplement Alexandrins) et a comme plaques tournantes Rhodes et Délos. Dans une seconde phase, à partir de la fin du IIe siècle av. J.-C., les cultes isiaques se répandent largement en Italie puis dans lOccident romain ; les acteurs sont alors surtout des negotiatores italiens ou des Grecs de Sicile. Les dieux égyptiens ont ensuite essaimé le long des voies romaines, terrestres et fluviales, avec les commerçants mais aussi les fonctionnaires. Cette partie traite non seulement de la contagion des idées, mais aussi des supports et outils qui ne sont pas tous intellectuels : statuettes, bijoux, amulettes diverses, éléments ornementaux, monnaies, lampes, peintures
La troisième partie sintéresse à la réception et à lintégration de ces cultes, variables suivant les circonstances, les lieux, les époques ou les individus concernés. Lorigine étrangère des cultes isiaques ne provoque pas nécessairement, hors dEgypte, une mise à lécart, mais engendre plutôt une multitude de processus de valorisation dune tradition qui va faire lobjet dappropriations spécifiques. Laccueil des nouveaux dieux peut se faire de manière plus ou moins conflictuelle (comme à Délos où le prêtre de Sarapis dut faire face à un procès après lédification du premier temple), parfois en concurrence avec dautres divinités. Les identités religieuses sont souples, multiples et cumulatives, et il sagit de porter une attention particulière à la sociologie religieuse des acteurs du culte, dévots ou officiants. Le culte isiaque sinsère ainsi souvent dans la vie municipale des provinces romaines, et sintègre également au culte impérial.
La quatrième partie a pour objet les lieux de culte. Si dans certaines grandes cités Isis et Sarapis ont disposé de plusieurs temples qui leur furent propres, dans des villes plus modestes il ny avait quun seul édifice. Les emplacements sélectionnés pour édifier le sanctuaire, sa forme, les voisinages cultuels et politiques sont hautement significatifs : proximité de lagora ou du forum, implantation en milieu périurbain ou portuaire, temples bien en vue ou chapelles discrètes à lintérieur de maisons privées
Il semble cependant, de manière générale, que, loin dêtre isolés, les lieux de culte des dieux égyptiens sinséraient parfaitement dans le tissu économique, politique et cultuel des cités qui les accueillaient, y compris par leur forme architecturale, bien quintégrant souvent des objets dorigine égyptienne, ou du moins égyptisants.
Les acteurs du culte sont au centre de la cinquième partie, quils soient officiants (spécialistes égyptiens ou magistrats locaux appointés par la cité, reclus ou hiérodules
), dévots (pouvant être organisés en associations, comme à Délos), initiés ou pèlerins, de toutes origines géographiques et sociales, plus ou moins prosélytes. Le nombre de documents épigraphiques permet den esquisser la sociologie. Les documents présentés appellent une analyse très fine des situations, qui évoluent dans le temps et dans lespace, nécessitant une véritable remise en situation des stratégies religieuses, des pratiques et des expressions de dévotion, en fonction des milieux dorigine et daccueil, ou des milieux sociaux et professionnels, et invitant à nuancer lopposition traditionnelle entre religion officielle et religion populaire.
Létude des rites et pratiques cultuelles forme la sixième partie du recueil. Différents documents rendent compte des offrandes, sacrifices, banquets, processions, grandes fêtes (peu à peu introduites dans les calendriers officiels), initiations, mais aussi des cérémonies du culte divin journalier ou des oracles, voire des visions oniriques (comme dans lhistoire du songe de Ptolémée à lorigine de lintroduction du culte de Sarapis en Egypte). Larchéozoologie, larchéobotanique, la carpologie ou la palynologie, appliquées aux foyers des temples, révèlent le contenu réel des offrandes sacrificielles, quil faut comparer aux données textuelles. Les pratiques peuvent avoir aussi évolué dans le temps et dans lespace. Il ne faut pas oublier non plus la dimension économique des sanctuaires, les dieux se révélant à la fois banquiers, propriétaires terriens et administrateurs de leurs propres biens.
La septième partie revient sur la figure des dieux Isis et Sarapis, mais de façon différente de la première, en mettant laccent sur leur polymorphie, leurs fonctions diversifiées et leurs multiples noms. Cette polyonymie contribue à attribuer à ces dieux une omnipotence et une omnivalence qui les hissent au sommet de la hiérarchie divine, allant même jusquà lhénothéisme. De fait, sous lEmpire, luniversalité dIsis et Sarapis nest guère contestée, même si la plurifonctionnalité se matérialise par une iconographie divine aux facettes diverses, y compris en termes dattributs. Les documents du recueil illustrent les fonctions variées dIsis et Sarapis : dieux protecteurs des marins, du foyer, des mères et des accouchements ; dieux guérisseurs ; dieux salvateurs
Lépilogue constitue quasiment une partie à part entière, présentant également quelques documents commentés. Il se centre sur le déclin des cultes isiaques avec le triomphe du christianisme. Les édits de Théodose et la destruction du Sérapeum dAlexandrie ne marquent toutefois pas la fin de ces cultes, qui subsistent jusquà la fermeture et la transformation en église du temple dIsis à Philae, sous le règne de Justinien, entre 535 et 537 ap. J.-C., voire même au-delà dans certaines communautés ou dans des pratiques magiques clandestines.
Le livre offre en fin de volume une bibliographie sélective de quatre pages, organisée de manière thématique, ainsi que plusieurs index : inscriptions utilisées, auteurs anciens cités, monnaies et papyrus utilisés, noms de divinités, noms géographiques, noms de personnes et isiaca. Les dernières pages nomettent pas de citer les sources des figures, ce qui permet de retrouver les ouvrages ou les articles où elles ont été précédemment publiées. Lensemble constitue un instrument de travail remarquable en même temps que la synthèse en langue française sans doute la plus complète sur le sujet.
Sébastien Dalmon ( Mis en ligne le 08/10/2013 ) Imprimer | | |