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Un empereur romain au féminin | | | Dominique Barbe Irène de Byzance Perrin 2006 / 21.50 € - 140.83 ffr. / 397 pages ISBN : 2-262-02481-2 FORMAT : 14,0cm x 22,5cm
L'auteur du compte rendu : Historienne et journaliste, Jacqueline Martin-Bagnaudez est particulièrement sensibilisée aux questions dhistoire des religions et dhistoire des mentalités. Elle a publié (chez Desclée de Brouwer) des ouvrages dinitiation portant notamment sur le Moyen Age et sur lhistoire de lart. Imprimer
Consacré à une femme/homme dÉtat au rôle et à la personnalité ô combien controversés, ce livre est tout sauf le récit dune vie. Celle-ci, de fait, serait impossible à écrire, car les sources font totalement défaut. On en est donc réduit à aller à la rencontre de ce personnage exceptionnel uniquement à travers les sources officielles de lhistoire byzantine et lexpression dopinions toujours contrastées exprimées à son égard. En tous cas, les historiens, français notamment, nont guère fait preuve daudace sur le sujet ; le livre de Dominique Barbe est à peu près le seul que lon puisse lire sur Irène, et la présente édition est un reprint de celle de 1990.
Confronté à labsence de sources directement utilisables, lauteur a dû «imaginer» au sens le plus noble du terme ce que fut le cadre de vie de la femme-empereur, de sa naissance à sa mort, le déroulement des principaux événements auxquels elle a participé. Et D. Barbe fait preuve dun authentique talent littéraire de conteur. Il faut lire exemple parmi tant dautres son récit de larrivée à Constantinople de la jeune fiancée de lhéritier du trône, de son couronnement, de son mariage. Le lecteur est placé au cur des festivités, rien ne manque, même pas le détail des costumes et des coiffures. Tout ceci est restitué par analogie avec des événements semblables mieux connus par ailleurs. Ne boudons pas notre plaisir et apprécions les qualités décriture dont fait preuve cet ouvrage.
On ne sait rien de la famille, de la jeunesse, de léducation (sans doute de qualité) dIrène. Sa date de naissance même nest quapproximative : «vers» 752... Rien de sûr même quant à son aspect physique : la beauté quon lui accorde nest-elle pas tout simplement lattribut reconnu de facto à tout souverain byzantin ? Devant cette carence de sources, lauteur navait dautre moyen que de suivre son personnage à travers les événements politiques dont elle fut acteur et témoin. Et cest à loccasion de la présentation de personnages comme Philarète, beau-père de Constantin VI, que revit léconomie rurale du temps. La Constantinople du VIIIe siècle, ses rues, ses monuments, sont décrits à travers les événements tragiques ou festifs. D. Barbe est amené à tracer une vaste fresque historique, depuis les origines mêmes de Byzance, en sattachant surtout au règne de Constantin V, beau-père dIrène, lequel est à bien des égards déterminant pour les problèmes et les situations auxquels seront confrontés ses successeurs, dabord son fils, le pâle Léon IV, puis sa bru Irène, régente pour son fils Constantin VI avant de lécarter du trône en le privant de la vue, pratique courante à la cour byzantine.
La carrière politique de cette unique femme-empereur, très officiellement située dans la lignée des empereurs «romains», se déroule sur fond dun certain nombre de constantes. Une question religieuse récurrente : liconoclasme, quIrène réussira pour un temps à faire condamner (concile de Nicée, 787), sinon disparaître. On se bat, on meurt pour une option religieuse qui touche au dogme autant quà la discipline et joue sur des ressorts politiques, sociaux, économiques. La politique extérieure de Byzance, à lépoque, est faite de luttes armées (et il est bien difficile à une femme, fût-elle empereur, de pallier son impossibilité dêtre chef de guerre) contre les Bulgares et surtout contre lexpansion arabe. Plus diplomatiques mais tout aussi âpres sont les rapports avec lOccident, papauté mais surtout puissance montante des Carolingiens. Face à Irène, deux monuments de lHistoire : Haroun el Rachid et Charlemagne. Autour delle, des eunuques, détestés et craints. Contre elle, une faiblesse insoluble : lélimination de son fils unique fait delle une souveraine sans héritier. Et pourtant, une haute idée de lempire et de Byzance.
Dominique Barbe sefforce, on le sent bien, de ne pas porter de jugement sur son personnage, que sa main de fer a fait haïr de toute une partie de ses contemporains mais dont les partisans des images feront une sainte. Il explique jusquà son acte de cruauté envers son fils : au-delà dambitions personnelles certaines, elle était convaincue quil était incapable de gouverner. Lauteur nous fait pénétrer dans la mentalité du temps : lempereur est lélu de Dieu, lequel confirme à chaque instant sa légitimité en lui donnant la victoire sur ses ennemis. Que celle-ci vienne à manquer, cest le signe de la condamnation divine. Irène elle-même nest pas la dernière à le penser : doù sa résignation lorsquune conspiration la détrône (802) bien quelle prenne bien vite une posture de martyre.
Sur la forme, outre le talent décriture de lauteur, on appréciera sa fluidité. Peu de notes pour justifier de lérudition. Mais une série de croquis, de tableaux généalogiques, un bien utile glossaire, et une solide bibliographie. Pourrait-on approcher de plus près un destin aussi exceptionnel ?
jac Martin-Bagnaudez ( Mis en ligne le 11/09/2006 ) Imprimer | | |