| Eric Bournazel Louis VI le Gros Fayard 2008 / 28 € - 183.4 ffr. / 524 pages ISBN : 978-2-213-63423-4 FORMAT : 14,5cm x 22,5cm
Préface de Jean-Pierre Poly.
L'auteur du compte rendu: Gilles Ferragu est maître de conférences en histoire contemporaine à luniversité Paris X Nanterre et à lIEP de Paris. Imprimer
Du roi et de la monarchie, les Français ont une image toute légitimiste, construite en partie par lécole de la république et la légende (noire) forgée par la Révolution française. Le roi, cest ce personnage puissant, au profil frappé sur toutes les monnaies, et qui, depuis son palais de Versailles, contrôle la France et ses colonies, dont la parole peut faire naître des carrières ou détruire des vies
un roi absolu et puissant, régnant de loin sur des courtisans et sur un peuple entier. A lévidence, les rois du XIIe siècle sont bien loin de ce modèle plutôt hérité de lépoque moderne, et bien avant Louis XIV, roi-soleil, Louis VI le gros (1081-1137) incarne plutôt un roi batailleur, errant, guerroyant constamment pour maintenir une forme de justice sur son (maigre) royaume, un roi dont lautorité est fortement contestée et qui, au sein même de sa cour, nest que le premier dentre les pairs. Cest à ce roi chevalier dune monarchie en devenir quEric Bournazel, professeur dhistoire du droit à luniversité de Paris IIAssas, a consacré une biographie érudite, en digne héritier dun Suger.
Car Louis VI le gros serait certainement méconnu sil navait eu un biographe ou plutôt un chroniqueur dexception : Suger, abbé de Saint-Denis, bâtisseur, proche conseiller du roi et grand témoin dun règne difficile, pour un roi encore itinérant, fréquemment parti en expédition. Et comme un bonheur narrive jamais seul, lhistorien peut également sappuyer sur Orderic Vital, chroniqueur anglo-normand, qui complète avec un regard sévère la geste écrite par Suger. Une période pourtant passionnante, tant elle va à lencontre des stéréotypes sur la monarchie. Car non seulement le royaume est en construction (et Louis VI, comme son père Philippe Ier, se heurte à un Henri Ier roi dAngleterre bien installé en Normandie et peu enclin à lhommage vassalique), avec un domaine royal resserré autour de Paris. Mais cest la monarchie elle-même qui se construit et commence à se doter de quelques grands rituels, sites délection (le sacre à Reims, la nécropole dynastique à Saint Denis
) et institutions : les Capétiens, dans la foulée dHugues Capet, sont encore jeunes sur le trône de France, et leur légitimité est somme toute fragile (même si, paradoxalement, les grands du royaume se désintéressent dune monarchie sur la transmission de laquelle ils nont plus guère dinfluence !). On le conçoit quand, reprenant une pratique carolingienne, le prince Louis est associé à son père comme «roi désigné» par un sacre/couronnement qui garantit la dynastie.
Alternant la chronique détaillée, érudite même, des actes du prince Louis puis du roi (expéditions guerrières contre des vassaux rebelles et autres seigneurs, alliances - et notamment un mariage de raison pour contenter lEglise et la papauté, relations avec lentourage et la «maison» royale, donations et fondations diverses), et une réflexion plus générale sur la royauté féodale en train de sélaborer, le biographe donne à son personnage une épaisseur historique qui va bien au-delà du simple récit dune existence.
Car le roi capétien, même modeste, demeure un roi doté de fonctions propres, nimbé dune «majesté» naissante : «fontaine de justice» et pacificateur, magicien même (avec la première assertion dun toucher des écrouelles, autre rituel promis à un grand avenir). Aussi Eric Bournazel suit-il, minutieusement, la naissance de cette royauté de France, via des institutions nouvelles (comme le conseil du roi, en cours dinstitutionnalisation), une capitale en devenir (Paris nest pas encore Paris, mais le mouvement vers la capitale est entamé), une administration qui doit simposer à un territoire et une population parfois rétive (on voit Louis VI parfois fuir lune de ses «bonnes villes», tel Laon, par crainte des réactions de la populace), un domaine en propre dont il faut vivre, des fonctions régaliennes et leur mise en acte, par un ensemble de procédures et de droits spécifiques
Linvention de la justice retenue finement analysée par un historien du droit.
Un roi dont la légitimité divine suppose également un lien particulier avec lEglise : entre linstitution clunisienne, qui sessouffle, et des ordres nouveaux à lexemple de celui de Fontevraud, Louis VI sait faire la part des idées réformatrices, quil encourage, et des institutions ecclésiastiques, dont il se proclame le fils très aimé. Et cela dautant quil doit faire pardonner les frasques dun père adultère : doù des relations prudentes, teintées de gallicanisme, avec les papes (eux-mêmes enclins à favoriser le roi contre lautorité des empereurs). Le difficile métier de roi, en somme.
Eric Bournazel publie, avec ce Louis VI le gros, une biographie de référence : dotée de tout lappareil scientifique nécessaire (bibliographie, généalogies diverses, index
), cette vie de Louis VI devrait facilement trouver sa place dans une histoire non pas des seuls rois, mais de la monarchie elle-même, de son élaboration et de sa mise en place. Dans une langue claire et érudite, qui nhésite pas à recourir au latin tout en gardant un point de vue très pédagogique, cette vie de Louis VI se dévore tout à la fois comme un récit, une chronique et une grande étude dhistoire institutionnelle.
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 12/03/2008 ) Imprimer | | |