| Robert Muchembled Madame de Pompadour Fayard 2014 / 26 € - 170.3 ffr. / 590 pages ISBN : 978-2-213-66665-5 FORMAT : 15,5 cm × 23,5 cm
L'auteur du compte rendu : Archiviste-paléographe, docteur de l'université de Paris I-Sorbonne, conservateur en chef du patrimoine, Thierry Sarmant est responsable des collections de monnaies et médailles du musée Carnavalet après avoir été adjoint au directeur du département des monnaies, médailles et antiques de la Bibliothèque nationale de France. Il a publié, entre autres titres, Les Demeures du Soleil, Louis XIV, Louvois et la surintendance des Bâtiments du roi (2003), Louis XIV. Homme et roi (Tallandier, 2012), Fontainebleau. Mille ans d'histoire de France (Tallandier, 2013). Imprimer
DAgnès Sorel à Valérie Trierweiler, lhistoire de France est remplie de favorites et de favoris qui satisfont les besoins affectifs et sensuels du prince, servent de médiateur de ses grâces et peuvent à loccasion jouer un rôle commode de bouc émissaire pour détourner de lui le mécontentement populaire. Généralement honnis, favorites et favoris bénéficient souvent dune indulgence à retardement, le nouveau venu ou la nouvelle venue paraissant toujours pire que ses devanciers. Mme de Pompadour offre lillustration la plus saisissante de ce phénomène. Magnifiée par les pinceaux de Nattier, Boucher ou Drouais, elle en est venue à incarner les grâces du règne de Louis XV, voire la fameuse «douceur de vivre» que nont pas connue ceux qui ont vécu après 1789.
La réalité, retracée par Robert Muchembled, est beaucoup moins aguichante, voire assez crapoteuse. Jeanne-Antoinette Poisson appartient à un milieu daffairistes dextraction récente et de murs légères. Si légères que la date exacte de sa naissance, son véritable prénom et lidentité même de son père restent sujets à débat. Poussée par ses protecteurs financiers dans les bras de Louis XV, la jeune femme doit servir leurs intérêts, ceux de sa famille et les siens propres. Son royal amant la couvre de faveurs et dargent, et la favorite insatiable entasse les titres, les propriétés, les meubles, les objets dart et les bijoux. Un écheveau de paravents juridiques et dhommes de paille est censé cacher cette gabegie au public : en enquêtant dans les archives notariales, Robert Muchembled a démêlé une partie de ces montages.
Devenue marquise de Pompadour, Jeanne-Antoinette se mêle de haute politique et prétend jouer le rôle de premier ministre occulte. Le résultat de cette immixtion dans le gouvernement nest pas heureux, mais tient autant à la faiblesse de caractère de Louis XV quà lincompétence de sa maîtresse. Les symptômes du mal sont bien connus : instabilité ministérielle digne dune République parlementaire alors que le régime est censé absolu ! , conduite inepte des opérations militaires, corruption généralisée de lappareil fisco-financier. Mme de Pompadour na en général pas la main heureuse dans le choix de ses protégés, ministres ou généraux de la guerre de Sept Ans. Choiseul fait exception, et il fera en sorte décarter progressivement sa protectrice de la direction des affaires.
Après quelques années, Mme de Pompadour abandonne le rôle damante pour celui damie du roi
et de pourvoyeuse de Louis XV en chair fraiche. Doù lépitaphe satirique : «Ci-gît qui fut vingt ans pucelle / Sept ans catin et huit ans maquerelle». En même temps, comme beaucoup de ses devanciers et héritières, la favorite croit bon de faire de la moralité. Elle pose en protectrice de lÉcole militaire, feint la piété, prétend réduire son train de vie. Elle se rêve en fait en nouvelle Madame de Maintenon, survivant à Marie Leszczynska et épousant secrètement un Louis XV devenu veuf. En dépit du ridicule quil emporte, le procédé aura du succès : on a vu depuis dautres favorites visiter les pouponnières et présider au Noël des enfants. Mme de Pompadour sest voulue aussi mécène et protectrice des arts et des lettres. On peut douter pour autant quil existe un «goût Pompadour». La marquise a tout simplement bénéficié de ce qui se faisait de mieux en France entre 1740 et 1760, dépensé sans compter et placer sa parentèle à la direction générale des Bâtiments du roi. Il est pour autant impossible de lidentifier au rocaille ou au contraire au «néo-grec».
Faute de moralité, il y a tout de même une morale à cette histoire. Toujours inquiète, toujours en représentation, sépuisant à distraire un monarque neurasthénique, Mme de Pompadour na jamais été heureuse. De la débauche sans plaisir, des divertissements sans abandon, de la compagnie sans amitié, du luxe sans confort, du pouvoir sans légitimité, voilà sa vie, quelle finit seule, en 1764, à quarante-deux ans. Lhistoire de son extraordinaire ascension et de sa singulière fortune apporte un terrible démenti aux historiens qui, tels Pierre Gaxotte ou Michel Antoine, ont voulu «réhabiliter» Louis XV. Chaque page du livre de Robert Muchembled fait éclater la faiblesse du roi, son incapacité à gouverner, sa veulerie et le peu de considération que son entourage avait pour lui.
Un prince, quil soit roi ou monarque républicain, se peint toujours dans le choix de ses favorites
Thierry Sarmant ( Mis en ligne le 11/11/2014 ) Imprimer | | |