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Histoire & Sciences sociales -> Période Moderne |
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La crise janséniste de l’absolutisme français. | | | Dale K. Van Kley Les Origines religieuses de la Révolution française - 1560-1791 Seuil - Points histoire 2006 / 12 € - 78.6 ffr. / 572 pages ISBN : 2-02-085509-7 FORMAT : 11x18 cm
Première publication en novembre 2002 (Seuil). Imprimer
Barruel, lun des maîtres à penser du courant contre-révolutionnaire français, identifia durant la Révolution les origines religieuses, en particulier protestantes, de celle-ci. Cette idée innervera pendant plus dun siècle les discours des principaux représentants de ce courant idéologique ; pensons à Maurras qui fera du protestantisme lun de ses «quatre Etats confédérés».
Lhistoriographie de la Révolution française, passé le temps du tout social et économique prôné par les chapelles marxisantes et structuralistes, redécouvre depuis une vingtaine dannées les aspects culturels et religieux dune Révolution que lon ne saurait réduire à des courbes de prix du pain ni à la montée dune bourgeoisie en manque de statut. Sous nos latitudes, louvrage fondateur de Roger Chartier, Les Origines culturelles de la Révolution française (Seuil, 1990), lui-même tributaire des analyses et des intuitions de Daniel Mornet ou Alphonse Dupront, est un signe de ce tournant.
Dale K. van Kley, professeur à luniversité dOhio, est lun des grands spécialistes du XVIIIe siècle français et des phénomènes de «réformes catholiques». Dans son ouvrage The Jansenists and the Expulsion of the Jesuits from France. 1757-1765 (1975), il a démontré que le courant janséniste fut le principal responsable de lexpulsion des Jésuites de France en 1761, événement longtemps considéré comme un succès des Lumières.
Dune certaine manière, Les Origines religieuses de la Révolution française poursuit ce premier ouvrage. En six chapitres denses, lauteur développe une démonstration convaincante. Selon lui, après léchec de la Réforme protestante en France, une nouvelle réforme religieuse, à lintérieur du catholicisme et sans désir de schisme, distille sur deux siècles une idéologie anti-absolutiste participant au lent travail de sape du régime des Bourbon.
Lors de la «phase cruciale» (A.D. Lublinskaya) de labsolutisme français, sous les ministères de Richelieu et Mazarin, une opposition nouvelle surgit : le jansénisme ou augustinisme, fondé sur une vision tragique de lhumain et animé, comme le calvinisme, dune volonté de désacraliser tout intermédiaire entre la conscience et Dieu, vient sopposer à la monarchie française que caractérise un rapport particulier du politique au sacré.
Dale K. van Kley nous introduit dans cette nébuleuse janséniste. Les grandes figures, les ouvrages phares, les lieux de sociabilité sont présentés en détail et aident à comprendre la subversion de ce courant religieux. A une époque où religion et politique se confondent, la contestation de lune ne peut aller sans lébranlement de lautre. Les écrits de Pasquier Quesnel, Vivien de la Borde, Nicolas le Gros et surtout, au second XVIIIe siècle, de Le Paige participent à la progressive déstabilisation de la monarchie sacramentelle. Un périodique comme les Nouvelles ecclésiastiques, sur lequel lauteur nous fournit damples informations, de même.
Porteurs de messages conciliaristes sinon parlementaires, dun certain républicanisme, ces textes participent dun air du temps dont la Révolution constituera le pinacle. Les grandes polémiques politico-religieuses autour de la bulle Unigenitus (1713), les refus de sacrements dans les années 1750 et lédit de décembre 1770 du chancelier Maupeou réfutation de la thèse parlementaire en France -, ces moments forts voient sopposer les tenants dune monarchie constitutionnelle et ceux attachés à la monarchie absolue. La progressive sécularisation de ces idées religieuses conduira peu à peu à léclatement révolutionnaire des années 1790.
Les jansénistes ne sont cependant pas les seuls à oeuvrer contre labsolutisme français. Les calvinistes lont fait avant eux. Le parti dévot, la Sainte Ligue elle-même, participa à la théorie politique du tyrannicide et de la révolte, rappelons-nous lassassinat par le moine dominicain Jacques Clément du roi Henri III en 1589. Les Lumières enfin, parties prenantes des controverses religieuses du XVIIIe siècle, jouèrent le rôle que lon sait, même si lauteur pointe du doigt la complexité des attitudes en la matière et explique que «lun des traits les plus marquants du paysage intellectuel français au XVIIIe siècle est ce triangle formé par les jansénistes, les dévots et les philosophes.»
«Le Jansénisme, par certains aspects, tend au protestantisme», écrit lauteur. Ce courant religieux aurait ainsi repris une partie de lhéritage des monarchomaques protestants, tels les «triumvirs antimonarchiques» François Hotman, Théodore de Béze et Philippe de Duplessis-Mornay.
Quand on sait la violence des propos antiprotestants de certains jansénistes, souffrant justement de lamalgame, peut-on associer, les deux courants? Leur similarité les rend-elle comparables? Avec la prudence qui honore tout historien, Dale K. van Kley le laisse entendre. Il peut lui être ainsi reproché de forcer le trait et de proposer dune certaine manière une lecture protestante de ce courant, cherchant malgré tout à présenter le jansénisme comme une revanche de la Réforme sur les guerres de religion.
Quoi quil en soit, Les Origines religieuses de la Révolution française est un ouvrage riche et stimulant. Cet admirable travail dhistorien permet de comprendre en nuances la préhistoire de la Révolution française, limportance du jansénisme français au XVIIIe siècle, sous ses formes religieuses, théologiques, judiciaires et populaires, et lexistence, souvent insoupçonnée dans une France centralisatrice et jacobine, dun courant parlementaire considérable puisant aux origines franques de la royauté. Surtout, louvrage montre à quel point une révolution aussi antichrétienne que celle qui débute en 1789, puise une part de sa radicalité et de son identité dans les controverses religieuses qui lont précédée.
Enfin, lhistorien anglo-saxon, fin connaisseur de lhistoriographie française en la matière, permettra au lecteur dentrevoir aussi la richesse et la vitalité de ce champ de recherche de lautre côté de lAtlantique. Quant au débat l'opposant aux spécialistes français de la question (cf. notre entretien), il ne peut que permettre une vue meilleure sur cet aspect plûtot méconnu de notre histoire.
Thomas Roman ( Mis en ligne le 13/02/2006 ) Imprimer
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