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Histoire & Sciences sociales -> Période Moderne |
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Le secret de maistre Corneille ? | | | Robert Brasillach Corneille Fayard 2006 / 20 € - 131 ffr. / 355 pages ISBN : 2-213-62975-7 FORMAT : 13,5cm x 21,5cm
L'auteur du compte rendu : agrégé dhistoire, Nicolas Plagne est un ancien élève de lEcole Normale Supérieure. Il a fait des études dhistoire et de philosophie. Après avoir été assistant à lInstitut national des langues et civilisations orientales, il enseigne dans un lycée de la région rouennaise et finit de rédiger une thèse consacrée à lhistoire des polémiques autour des origines de lEtat russe. Imprimer
Nous devrions fêter cette année le quadricentenaire de la naissance dun de nos plus grands dramaturges et poètes, un des fondateurs et législateurs de cette superbe langue classique, qui fit ladmiration de lEurope et servit de véhicule à sa pensée. Et puis ? Rien. Ou presque. LEtat na pas jugé bon de rendre hommage à cette gloire du génie de la France. A la consternation de lAcadémie française, où il siégea lun des premiers.
Sans accepter la dérobade de lEtat, rendons grâces aux compagnies de théâtre qui nont pas oublié leurs origines et leurs maîtres. Les hommages de la Région Haute-Normandie sont toujours bons à prendre : Corneille était Rouennais, il avait une maison dans cette ville quon peut visiter comme sa campagne à Petit-Couronne. Alain Niederst, de luniversité de Rouen, auteur autrefois dun Fontenelle (son neveu), publie une somme très solide ! Mais lEtat ? Il a laissé cette occasion à la société civile de montrer son dynamisme. Le pompon, cest que cette ingratitude officielle se produise sous un Premier «poète» à la rhétorique héroïque puisée via Napoléon aux sources cornéliennes de notre langue, et cela, sous lautorité dun président héritier théorique dun Général, qui montrait tout ce quil devait au vieux maître. Mais le fondateur de la 5ème était enfant dune époque où la République honorait autant que les bons pères lauteur du Cid, dHorace et de Cinna! Une époque où le vieux républicain, socialiste et catholique Péguy, admiré de Brasillach, pouvait consacrer une part de son Victor-Marie comte Hugo à léloge de Corneille. Corneille était une évidence de lidentité nationale, par-dessus les régimes, et un pilier de la synthèse républicaine, honoré par le critique officiel Lanson. Depuis : une mutation socio-culturelle affectant lenseignement et une crise des repères de lidentité nationale... Corneille, élitiste, aristocratique, pompeux, long ?! Dailleurs les troupes daujourdhui insistent sur le jeune Corneille galant et fantaisiste pour faire avaler la pilule au public post-moderne.
A croire que le fasciste Brasillach avait raison ! Il verrait sûrement un triomphe posthume dans le dédain de la démocratie envers celui quil tenait pour un des précurseurs méconnus dun fascisme français. Thèse audacieuse, car la République exaltait en lui le psychologue des conflits de la passion et du devoir et le peintre du dépassement de soi, de la vertu : les héros aristocrates devenaient les modèles du citoyen. Au lieu de relativiser la défense de la monarchie comme une forme annonciatrice de la souveraineté de lEtat républicain et des lois interprétation démocratique , Brasillach insiste sur limpératif dobéissance absolue au souverain absolu, avec raison, et exagère sa lecture en faisant des rois les précurseurs des dictateurs de lAxe. Les royaumes centralisés deviennent chez lui lEtat totalitaire et national. Lecture provocante, qui mérite lattention.
Lapproche politique domine (rapprochement de léducation jésuite et des organisations de jeunesse totalitaires, p.21-22, éloges des dictateurs des années 30) et Brasillach prétend bien montrer les sources françaises et européennes de son combat dans la grandeur et lhéroïsme, lhonneur et le tragique des tragédies de Corneille. Brasillach se laisse prendre par lélan volontariste et passionnel des jeunes héros et la conception inégalitaire des mérites et des droits des personnes. Ce souffle héroïque combinant respect de soi et grandeur de lEtat, mais aussi la pureté de la langue, le mouvement dramatique, le sens de laction, lécole dénergie par lexemple et lentraînement dun discours habité, séduisent R. Brasillach depuis lenfance.
Lessai se compose de 3 parties équilibrées, de 5 à 6 chapitres chacune (un modèle de plan classique bien digne dun normalien) : Mocedades del Cid (1606-1637), Le triomphe de la volonté (1637-1652) et Les terres inconnues (1652-1684). La première partie retrace enfance, adolescence et jeunesse, ce sont les années de formation, la rencontre du théâtre, de lécriture, les ennuyeuses études de robin et le choix de la carrière littéraire, après avoir assuré la sécurité matérielle. Corneille devient Corneille, les éléments de son identité se mettent en place jusquau Cid. Il arrive à la maturité, à la tragédie et à sa pensée politique.
La deuxième partie au titre philo-nazi (Le triomphe de la Volonté) traite des chefs doeuvres de la maturité, aux thèmes politiques dactualités. Brasillach sy laisse aller à des analogies, qui doivent faire toucher du doigt cette actualité : Horace présente les conflits intérieurs et inavouables des guerres idéologiques et démocratiques, du patriotisme unanimiste à lère des masses, de la mobilisation totale, pièce étrange où la solidarité de la plus belle figure virile, Curiace, consiste à suivre ses concitoyens dans la guerre passionnée en taisant lobjection de la conscience individuelle ! «Nous aurions pu apprécier dans le plus jeune (Horace) une ardeur vigoureuse de jeune nazi» (p.130), mais la rhétorique de son «patriotisme aveugle mais nécessaire» manque de fraîcheur. Cependant Corneille se reprend et plaide par le théâtre auprès de Richelieu pour la clémence dAuguste envers le généreux Cinna fourvoyé : pièce pompeuse et moralisatrice qui malgré son style ennuie furieusement Brasillach (p.131). Mais ce ne serait pas le vrai Corneille et tant pis pour les censeurs et dabord ces professeurs de la 3ème république et comme Jules Lemaitre qui se méfiait de son «esprit excentrique»! Brasillach voit au contraire dans loeuvre de cette époque les indices dune «tentation de la volonté», une exaltation de la force de volonté à la Barrès et dAnnunzio, avec sa cruauté et sa barbarie nordique, analogue à Wagner pour le 3ème Reich. Mussolini saisit >i>«dans ce Corneille de notre enfance, le précurseur génial, hardi, anti-bourgeois, anti-capitaliste et anti-parlementaire du fascisme moderne» (p.134). Loeuvre qui suit Le Cid, née après un moment de «silence» et d«adieu à la jeunesse» touche dailleurs en Brasillach le poète de la fuite du temps à lâge du héros de sa biographie. Dans le chapitre «Sous lil des barbares», Brasillach citant Cinna («Le pire des Etats, cest lEtat populaire») décline, par analogie avec la défense de la monarchie au temps de la Fronde, les raisons de sa haine de la 3ème république (pp.205 etc.). Place aux jeunes, dictature nationale-populaire, gouvernement viril à la romaine et alliance de lart et du totalitarisme ! «Dans le fascisme de Pierre Corneille, la monarchie peut tendre la main au génie populaire (
)» (p.211). Telle est «la politique étrangement actuelle» de Corneille (p.212).
Linterprétation sous-estime la dialectique cornélienne. Bien que Corneille fût monarchiste convaincu et défenseur de lEtat, son absolutisme na rien dun despotisme tyrannique et la conscience morale reste souveraine en dernière instance, car cest au nom de ses fins morales que lEtat doit exister et peut demander des sacrifices. Assassinant le tyran Marat, la girondine Charlotte Corday, descendante de Corneille, sen croit lhéritière spirituelle.
Ecrite en 1937-38, par un homme de trente-trois ans, cette biographie spirituelle, littéraire et politique méritait la réédition. Sur Corneille, elle reste intéressante et suggestive. Un livre décrivain, sans lourdeur pédante de spécialiste. Luniversitaire A. Bailly saluait alors la performance : «Un livre qui nous retrace de Corneille assurément limage la plus complète que nous possédons». Jugement peut-être vrai alors, quinfluençait sans doute les sympathies Croix-de-feu de Bailly. Le livre garde lallant du romantisme fasciste de lauteur. Cest aussi un manifeste davant-guerre qui par lidentification de lauteur à son sujet annonce le pire.
Nicolas Plagne ( Mis en ligne le 25/10/2006 ) Imprimer
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