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Histoire & Sciences sociales -> Période Contemporaine |
| Alain Boillat Jean Kaempfer Philippe Kaenel Collectif Jésus en représentations - De la Belle Epoque à la postmodernité Editions Infolio 2011 / 12 € - 78.6 ffr. / 430 pages ISBN : 978-2-88474-497-3 FORMAT : 12cm x 18,2cm
L'auteur du compte rendu : Chargé d'enseignement en FLE à l'Université de Liège, Frédéric Saenen a publié plusieurs recueils de poésie et collabore à de nombreuses revues littéraires, tant en Belgique qu'en France (Le Fram,Tsimtsoum, La Presse littéraire, Sitartmag.com, etc.). Depuis mai 2003, il anime avec son ami Frédéric Dufoing la revue de critique littéraire et politique Jibrile. Imprimer
Avant de devenir le symbole incarné dune religion millénaire et un personnage capital dans lhistoire universelle, Jésus fut un être de chair et de sang si tant est quon lui prête une existence réelle. Les évangiles, écrits attestant de son passage ici-bas et focalisés sur ses actes, ne sont cependant guère éloquents en ce qui concerne sa description physique, si bien que sa taille ou les traits de son visage ont dû être en permanence déclinés et réinventés selon des visions idéalisées, dictées parfois par les canons de lautorité ecclésiastique, en tout cas censées refléter ladoration profonde qui lui était vouée.
En mai 2009 a eu lieu à Lausanne un colloque passionnant qui interrogeait non pas lâge dor de la figuration du Christ et qui court en somme de lart médiéval jusquau néo-classique mais bien la période allant de la décadente fin du XIXe siècle jusquà lère des simulacres et lavènement du virtuel... En effet, daprès le théologien strasbourgeois François Boepsflug, «depuis les années 1870, le motif du crucifié a été progressivement affranchi de ses connotations exclusivement religieuses et libéré des significations et fonctions que lui avait conférées sa place de choix dans liconographie chrétienne». Le moment de rupture est même précisément daté, et il fallait rien moins quun Belge pour sen rendre coupable ! Lobjet du délit est la fameuse toile de Félicien Rops La Tentation de saint Antoine (1878), mettant en scène la crucifixion dune rousse incendiaire qui semble offrir de bonne grâce ses carnations à un saint Antoine échevelé, barbe en broussailles et mains aux tempes, convulsé par lémoustillant scandale de lexhibition. De part et dautre de linstrument de supplice, le vrai Christ se voit, lui, évincé de biais tandis que le diable se rit des tentations quil suscite. Un cochon médusé contemple toute cette pagaille et semble sinterroger sur le moment où il sagira de fondre sur lâme de lanachorète, afin de la posséder définitivement. Boepsflug nous apprend que lidée de cette uvre sulfureuse aurait été puisée dans La Confession dun enfant du siècle de Musset ; il souligne également à quel point laudace de Rops était poussée, dans la mesure où les crucifixions féminines étaient jusqualors rarissimes et bien plus chastes, puisquelles honoraient la mémoire de vénérables martyres de la foi.
Et nous nen sommes encore quà lorée de nos découvertes, car cette étude inaugurale reflète le ton général dun recueil qui est un véritable régal pour lesprit et ce, que lon soit à des degrés divers sensible au fond religieux de laffaire
Les littéraires par exemple se passionneront pour lanalyse signée Georg Langenhorst sur le genre en soi que constituent «les romans de Jésus», florissants entre 1960 et 1980 puis tombés en désuétude. Langenhorst y explore les différentes stratégies narratives et les motifs récurrents de ces évocations biographiques si particulières, érigées sur de bien frêles fondations documentaires. Il transmet notamment lenvie de découvrir la démarche originale dun Patrick Roth qui, dans son Riverside en 1991, travailla davantage sur la langue de ses protagonistes que sur les thèmes bibliques, comme afin dintérioriser le récit de chaque témoin quil convoque. Le domaine pictural est, entre autres, abordé par Isabelle Saint-Martin, à travers les différentes illustrations du syncrétisme qui anima une certaine veine de la peinture à motifs religieux, et ce à partir du symbolisme. Sont ainsi décryptées les uvres troublantes de lAnglais William Hunt, des Français Paul Ranson et Georges Lacombe, ou encore du Chinois Liu Xiao Xian, qui consacre la fusion entre Christ et Bouddha par un stupéfiant procédé doptique.
Limage du Nazaréen a aussi bien sûr été relayée par le cinéma, la photo, la BD, dès les origines mêmes de ces techniques ou formes dexpression. En ce qui concerne le Septième art, Jésus occupe une place prépondérante dans largumentaire dun classique tel que Intolérance de Griffith et Claire Dupré la Tour rend sensibles les difficultés qui présidèrent au choix de lacteur qui allait assumer un tel rôle ou encore dans INRI, chef-duvre occulté de Robert Wiene dont les relents antisémites expliquent sans doute lenfouissement au second rayon de quelque médiathèque
Mais on rencontre surtout le «fils de lhomme» dans des productions populaires, plus naïves et simplistes, destinées à évangéliser via le grand écran, telles celles produites à laube des années 1900 par la firme Pathé selon une méthode de recyclage unique en son genre et que sattachent à révéler André Gaudreault et Philippe Gauthier.
Enfin, les innombrables images subverties et subversives du Christ sont abordées : les torsions quinflige Bacon à des morceaux de viande crue dans ses ''Trois études pour la crucifixion'', la défiguration des traits de lhomme en croix par Arnulf Rainer, liconoclaste ''Christ sur une chaise électrique'' de Paul Fryer ainsi que toute lexploitation de l«Ecce homo» par lesthétique gay, rien de tout cela nest dissimulé sous un voile de fausse pudeur, mais resitué et explicité.
De toute façon, les intervenants de ce colloque sont les premiers conscients que, «acheiro-poïetique» oblige, à vouloir couvrir le visage du Fils de lhomme, cest encore son image qui simprimera, indélébile, sur le suaire ! Chacun dentre eux a donc reproduit avec brio le geste de Véronique, recueillant sa part de «vraie image» pour en rehausser ensuite les cimaises dun véritable musée imaginaire de Jésus. Érudit, exhaustif, admirable.
Frédéric Saenen ( Mis en ligne le 20/09/2011 ) Imprimer | | |
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