|
Histoire & Sciences sociales -> Période Contemporaine |
| |
Les droites radicales en question(s) | | | Olivier Dard Collectif Références et thèmes des droites radicales au XXe siècle - (Europe/Amériques) Peter Lang 2015 / 88.30 € - 578.37 ffr. / 368 pages ISBN : 978-3-0343-1580-7
L'auteur du compte rendu : Chargé d'enseignement en FLE à l'Université de Liège, Frédéric Saenen a publié plusieurs recueils de poésie et collabore à de nombreuses revues littéraires, tant en Belgique qu'en France (Le Fram,Tsimtsoum, La Presse littéraire, Sitartmag.com, etc.). Depuis mai 2003, il anime avec son ami Frédéric Dufoing la revue de critique littéraire et politique Jibrile. Imprimer
La troisième livraison du groupe détudes IDREA (Internationalisation des Droites Radicales Europe / Amériques), développé au sein de lUniversité de Lorraine, porte sur les références et les thèmes invoqués par les tenants de lextrémisme droitier.
La richesse des apports, des analyses et des regards est à nouveau au rendez-vous. Du Portugal au Canada français en passant par la Belgique, la France, lItalie, les USA ou lEspagne, la douzaine de chercheurs rassemblés ici se sont attachés à illustrer les transversalités et les convergences quil est possible de déceler entre courants et tendances. Lidée nest pas dalimenter le fantasme dune «internationale noire» (malgré lindéniable existence de certains réseaux), mais bien de montrer quà lextrême droite aussi, les idées circulent outre frontières et sarticulent autour daxes communs pour composer une vision du monde marquée par des récurrences et des cohérences mais aussi dynamisée par des débats et des antagonismes de fond.
Maître duvre du projet, Olivier Dard détermine cinq entrées, qui sont autant de sésames afin de pénétrer les discours radicaux. La première est essentielle à la compréhension des réflexes dexaltation propres au «romantisme fasciste» : limage du chef ou du camarade tombé au combat. Pour la Belgique, Francis Balace évoque notamment, avec le brio stylistique et la pétulance spirituelle quon lui connaît, les figures tutélaires du Liégeois Paul Hoornaert, fondateur de la Légion nationale en 1922, et le Leider Joris Van Severen, père du mouvement flamingant Verdinaso. Le jugement à porter sur ces deux personnalités demeure problématique dans la mesure où, même sils incarnent des valeurs ou adoptent des attitudes fascistoïdes, «on ne peut leur coller létiquette restée infâmante de collaborateurs». La Belgique présentera dailleurs cette particularité davoir fourni des exemples dune «résistance fasciste» qui sintègre mal dans le panthéon du résistantialisme de gauche et dans le même temps «échappe au ban moral».
Le chercheur Christoph Brüll propose, quant à lui, une étude très fouillée sur la référence à Léon Degrelle dans les droites radicales allemandes après 1945. Il met ainsi en lumière les rapports entre celui qui se claironnait le fils idéal du Führer et lun des néo-nazis les plus actifs des années 80 en Allemagne, Michaël Kühnen. Où lon voit comment Degrelle demeurera le phare de lethno-racisme européen jusquà sa mort en 1994. Miguel Angel Perfecto et Pauline Picco couvrent respectivement les domaines portugais et italiens, le premier avec une passionnante réévaluation de lhéritage du «mythe José Antonio Primo de Rivera» dans lEspagne franquiste, la seconde avec une exploration minutieuse du panthéon politique et intellectuel de lextrême droite italienne (des pages très intéressantes sur la réception de luvre de Brasillach).
Dans la partie «Mémoire(s) et histoire(s) des régimes et des combats perdus», on quitte les études de cas pour deux contributions en amplitude. Nicolas Lebourg et Jonathan Preda se penchent sur le Front de lEst comme «lieu de mémoire et fabrique idéologique». À travers les récits romancés de Jean Mabire et de Saint-Loup, les auteurs se livrent à une impressionnante mythographie qui permet denvisager le théâtre des opérations comme un «théâtre humain». Selon la lecture idéologique quon lui applique, le front de lEst sera tantôt territoire de chevalerie et de croisade, tantôt «symbole du déshonneur et de la félonie». Il constituera aussi, bien plus quun espace géographique, un moment de la geste de lultra-droite, qui en cristallise toutes les hybridations. Ana Isabel Sardinha Desvignes donne pour sa part une étude qui devrait faire référence, auprès du public francophone en tout cas, sur les fondements du discours impérial portugais. De lespérance sébastianiste au mythe du «Cinquième empire», la chercheuse pose les jalons nécessaires à la compréhension fine du lusotropicalisme, de lâge dor de Camoens à la décolonisation. Seul étonnement : labsence totale du nom de Dominique de Roux dans ces pages substantielles.
Les «anti-» occupent les troisième et quatrième pans du volume. Antisémitisme (exprimé par le négationnisme), anticapitalisme (dans lArgentine péroniste), anticommunisme (dans la revue conservatrice allemande Merkur de 1947 à 1952, chez les classes moyennes américaines ou dans LAction nationale au Canada durant la Guerre Froide). Enfin, les deux articles de Riccardo Marchi et dOlivier Dard offrent la conclusion idéale de lensemble, en abordant lune des notions les plus délicates et les plus complexes à circonscrire dans le domaine : celle de lOccident. Quil soit brandi pour être défendu par des penseurs (depuis Henri Massis), des mouvements, des revues (on pense bien sûr à celle de Maurice Bardèche), ou alors quil soit remis en question, voire rejeté, quand il est identifié à latlantisme et aux intérêts étasuniens, lOccident est ce point cardinal vers lequel tend toujours la boussole de la radicalité de droite. Marchi et Dard parviennent à retracer lévolution du concept, à clarifier les cadres oppositionnels où il se situe, à débrouiller les inépuisables débats quil suscite.
Les recueils issus du travail dIDREA sont autant doutils incontournables pour létudiant en histoire et en sciences politiques, le chercheur, lexpert ou lamateur éclairé, dont on imagine limpatience à découvrir un quatrième volume.
Frédéric Saenen ( Mis en ligne le 23/06/2015 ) Imprimer | | |
|
|
|
|