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Un livre diablement attachant | | | Ghislain, de Diesbach L'Abbé Mugnier - Le confesseur du Tout-Paris Perrin - Tempus 2013 / 10 € - 65.5 ffr. / 401 pages ISBN : 978-2-262-04218-9 FORMAT : 11,0 cm × 17,8 cm
L'auteur du compte rendu : Jérôme Grondeux, professeur dHistoire contemporaine à Paris IV Sorbonne, sest spécialisé dans létude de lhistoire politique. Imprimer
Ceux qui aiment lhistoire de la littérature et du catholicisme connaissent le Journal de labbé Mugnier, en partie publié au Mercure de France en 1985, dans la belle collection «Le Temps retrouvé». Indiscrétions, réflexions faussement primesautières, non-conformisme, amour de la littérature
cet admirateur de Chateaubriand et de Georges Sand, né en 1853 et mort en 1944, qui fréquenta Huysmans, joua un rôle décisif dans sa conversion et devint, grâce à son esprit (on cite de lui de nombreux «mots», quon retrouve dans cette biographie) et sa très large tolérance envers les libres penseurs, une sorte daumônier du grand monde et des milieux littéraires.
Il connut et apprécia Anatole France, Paul Léautaud, Cocteau, la famille Daudet, Anna de Noailles et bien dautres ; il fut à lorigine de la fondation de la Société Chateaubriand. Son tact, fruit dune extrême délicatesse envers les personnes, opérait mieux sur ce terrain que dans le catholicisme très divisé de son époque (il note plaisamment le 6 février 1912 : «On ne tient tant aux dogmes chez les catholiques que pour avoir une solide raison de se cogner les uns sur les autres»), et sil célébra des mariages, sil accompagna bien des mourants, sil se vit confier bien des missions délicates dans la bonne société, il nobtint jamais ne serait-ce quune cure.
Fermé à lantisémitisme, au nationalisme (au point de ne pas même être entraîné par lantigermanisme durant la Première Guerre mondiale), persuadé que lEnfer, sil existe, est vide, accomplissant toute sa vie ses devoirs de prêtre alors quil a si peu choisi cet état, doué de la faculté dadmirer curieusement unie à un esprit parfois caustique, lhomme, sil se soucie peu délaborer un système qui lèverait certaines contradictions, est éminemment sympathique, du moins à ceux en qui vibre une fibre libérale, voire individualiste.
Ghislain de Diesbach, auteur de «nombreuses biographies à succès», comme on le précise sur la quatrième de couverture, avait déjà préfacé lédition du Journal ; il sattache cette fois à nous donner du bon abbé une biographie complète. Entreprendre la biographie dun mémorialiste, comme il le dit lui-même, est une tâche difficile. Il sest appuyé, pour ne pas sen tenir à un commentaire qui naurait rien apporté aux lecteurs du journal publié, sur lensemble des notes de lecclésiastique et dautres documents inédits, en particulier des correspondances.
Ne boudons pas notre plaisir : le pari est gagné, le style est alerte, la langue coulante, et le portrait extrêmement vivant. Les qualités et les défauts sont ceux des biographies «grand public» - avec en plus le mérite de mettre en relief une figure peu connue. Si les biographies universitaires noient parfois leur personnage, tendant à en faire un prétexte pour poser des problèmes plus généraux ou mieux comprendre une époque, nous trouvons ici un homme. Ce livre est très vivant, très humain.
Quy manque-t-il ? Un recul à la Sainte-Beuve, celui qui naîtrait dune connaissance plus affirmée du contexte. Le seul ouvrage sur lhistoire du catholicisme cité dans la bibliographie est celui dAdrien Dansette, paru en 1951. Un bon ouvrage dhistoire peut bien vieillir. Mais en loccurrence, la perception des courants du catholicisme français davant 1914 a été considérablement renouvelée par les travaux et les synthèses de Jean-Marie Mayeur, dÉmile Poulat, de Gérard Cholvy et dYves-Marie Hilaire (sans parler du travail de Frédéric Gugelot sur les convertis au catholicisme de 1885 à 1935) ; certaines prises de positions de labbé Mugnier en seraient devenues un peu moins originales, et certainement plus claires, alors quon va jusquà employer le mot «fondamentalisme» là où il faudrait «modernisme» ou «libéralisme» à son propos.
Connaître les grands enjeux cest certainement une difficulté pour les historiens de métier quand ils veulent écrire pour le grand public conduit à freiner sa plume, et à se priver souvent du bonheur de caricaturer. De cette liberté de lécrivain, Ghislain de Diesbach use et abuse. Lexécution quil fait de Léon Bloy fera du bien à beaucoup de personnes, et on a souvent le sentiment que lauteur «tape» juste. Mais cela le conduit à passer sous silence dautres facettes de ce personnage, comme loriginalité de ses conceptions sur le judaïsme ou son rôle dans la conversion du couple Maritain ; à ne pas le resituer dans un courant, celui de lintransigeantisme apocalyptique, porteur dune interprétation très particulière de lHistoire (voir son ouvrage curieux, LÂme de Napoléon, réédité chez Gallimard, avec une préface de Laurent Joffrin).
Hyacinthe Loyson, figure certes moins «iconique» que Léon Bloy, en prend aussi pour son compte : lui qui refusa le dogme de linfaillibilité pontificale a quitté lÉglise romaine. «Lorgueil démesuré» du personnage, auquel «lautorité du pape semblait (
) porter ombrage» est invoqué
Il aurait mieux valu ajouter ou substituer à ces considérations moralisantes quelques lignes sur le combat perdu du camp libéral contre linfaillibilité, et prendre un peu plus au sérieux la volonté du «père Hyacinthe» de réconcilier catholicisme et modernité. Isoler un personnage, cest parfois se condamner à ne pas le comprendre.
Certains défauts tiennent au genre de louvrage ; et on trouve toujours des scories. Il nempêche : ce livre, orné en couverture dun magnifique portrait réalisé par la comtesse Greffulhe, est (comme aurait peut-être dit labbé Mugnier) diablement attachant.
Jérôme Grondeux ( Mis en ligne le 18/06/2013 ) Imprimer
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