| Mike Davis Le Pire des mondes possibles - De l'explosion urbaine au bidonville global La Découverte - Poche 2007 / 10 € - 65.5 ffr. / 249 pages ISBN : 978-2-7071-5289-3 FORMAT : 12,5cm x 19,0cm
Première publication française en septembre 2006 (La Découverte).
Traduction de Jacques Mailhos. Imprimer
Avec un titre qui nest en rien une exagération de chalandage, et un ton qui, nécessairement, eu égard à linsoutenable réalité quil décrit, relève du pamphlet, louvrage de Mike Davis, malgré les innombrables processus de mithridatisation médiatique auxquels chacun de nous est soumis, amène le lecteur à passer, au fil des pages, par la plupart des phases psychologiques du mourant
LEtat de choc est-il dû à la densité, à la concentration des données, à labondance des exemples ? La négation, le refus den savoir davantage qui accable parfois le lecteur provient-elle du fait que le monde entier est passé au crible ? Ou que des évidences, quoique souvent déjà connues, sont revisitées dans le détail, jusquau plus sordide ? La colère survient-elle suite à leffroyable constat que les mécanismes, les logiques sociales, politiques et économiques analysés sont décidément aussi absurdes quimplacables ?...
En prenant les bidonvilles pour sujet, mais aussi comme prétexte, comme nud de problématiques (urbanisme, politiques du logement et des transports, politiques de désengagement de lEtat, épidémiologie, inégalités de répartition des richesses, exploitation des pays non-industrialisés par les pays industrialisés, etc.), Mike Davis entend dresser un portrait de notre monde, un portrait non pas au vitriol, mais en tôles, en boues, en fèces, en ordures et en mauvaise foi.
Dans les quatre premiers chapitres, lauteur fait le point sur la croissance des villes, la disparition des campagnes ainsi que le développement exponentiel des bidonvilles (200 000 dans le monde) depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Il montre que lurbanisation sest découplée de lindustrialisation et de la croissance économique, et que, derechef, la ville nest plus aujourdhui nécessairement synonyme demplois pour une main duvre rurale victime des programmes de développement libéraux des grandes organisations mondiales (et de leurs sous-traitants non-gouvernementaux). Bien entendu, il noublie pas de souligner les échecs cuisants des soi-disant alternatives socialistes ainsi que les conséquences des politiques de ségrégation coloniales, parfois accentuées par les gouvernements autochtones. Opérant diverses distinctions entre les habitants de bidonvilles (locataires, squatteurs ou «propriétaires»), il explique avec acuité et cest là un point méconnu du problème comment les classes moyennes, les élites administratives ou les Etats spéculent sur les misérables qui hantent les immenses torchis de banlieues, les utilisent en faveur de leurs calculs fonciers (pour changer le statut des terres, pour «préparer» un terrain, etc.), les ballottent dun taudis à un autre au gré des fantaisies affairistes des rénovateurs urbanistes de centres-villes, les parquent dans des immeubles aux bétonnage desquels leur seule espérance de survie (léconomie informelle, lartisanat, etc.) est rendue impossible ou encore, tout simplement, les exploitent en leur faisant payer cest un comble ! des loyers exorbitants
Le chapitre cinq aborde les rapports entre les logiques sécuritaires et lurbanisme, et le sixième, les problèmes posés aux habitants des bidonvilles : le manque despace, dinfrastructures de transport permettant de relier les bassins dactivité économique, le manque daccès à leau potable, le manque dhygiène, la pollution, la plus grande exposition aux catastrophes naturelles, linstallation des industries à risques dont aucune zone de moyenne bourgeoisie ne veut, les épidémies, etc. Et Mike Davis de mettre en exergue, à lencontre de toutes les pudeurs journalistiques, les conséquences de cette situation non pas seulement sur la santé des gens, mais sur leur dignité quotidienne ; par exemple, le manque de lieux où sisoler pour déféquer amène bien souvent les femmes à se retenir toute la journée (si ce nest à ne pas manger) pour ne sortir se soulager que la nuit... Le dernier chapitre traite plus précisément des politiques économiques (les fameux plans dajustement structurel, qui ajustent les pauvres aux structures des riches) imposées au «tiers monde» ; la conclusion traite pour sa part des enjeux militaires que pose la généralisation des bidonvilles aux bien-pensants qui nous gouvernent.
Les références sont impressionnantes, lappareil de notes, instructif
On a bien du mal à reprocher quelque chose à ce livre, si ce nest, peut-être, sa volonté den dire trop, un certain dogmatisme développementiste par quoi il faut entendre : le fait de penser les problèmes évoqués dans le cadre dappréhension, en utilisant les principes de ce qui, précisément, cause ces problèmes et, enfin, comme souvent dans les uvres critiques, un tendance à sous-estimer les capacités de résistance et lingéniosité des victimes, réduites à nêtre que de la pulpe de statistique attendant passivement de passer dune colonne de tableau à une autre, les yeux pleins de larmes
Frédéric Dufoing ( Mis en ligne le 18/10/2007 ) Imprimer | | |