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Une bulle dans l’écume de la globalisation…
Raphaël Wintrebert   Attac, la politique autrement ? - Enquête sur l'histoire et la crise d'une organisation militante
La Découverte - Textes à l'appui 2007 /  22 € - 144.1 ffr. / 310 pages
ISBN : 978-2-7071-5132-2
FORMAT : 13,5cm x 22,0cm

L'auteur du compte rendu : Juriste, essayiste, docteur en sociologie, Frédéric Delorca a dirigé, aux Editions Le Temps des Cerises, Atlas alternatif : le monde à l'heure de la globalisation impériale (2006).
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Toute réalité sociale proche des sociologues fait l’objet d’une thèse en sociologie, telle est la règle de notre époque. Il n’est guère étonnant qu’Attac ne fasse pas exception. Raphael Wintrebert s’est donc attelé à ce sujet qui lui a permis de décrocher son doctorat à l’EHESS en 2004. Il en produit une version expurgée et actualisée «grand public» cette année aux éditions La Découverte.

Les lecteurs retrouveront ainsi à travers son récit les grandes étapes de l’histoire de cette production politique originale qu’on appela «Association pour la taxation des transactions financières pour l’aide aux citoyens», née tout armée en 1998 du cerveau de la direction du Monde Diplomatique, et qui grandit et se développa dans l’idéologie et sous le contrôle de ce journal, ou des publicistes qui gravitaient dans son giron.

D’un chapitre à l’autre, Wintrebert ne se contente pas d’aligner des dates et des faits connus du grand public. Il mobilise des témoignages de l’intérieur du mouvement. Son parti pris est de montrer les antagonismes qui opposent une direction «verrouillée» par les membres-fondateurs du mouvement (une série d’associations et de syndicats «à gauche de la gauche») à l’afflux des nouveaux adhérents, militants d’un certain âge (presque tous plus que trentenaires) issus de la petite-bourgeoisie d’Etat, qui cumulent leur présence à Attac avec un engagement dans d’autres milieux associatifs locaux ou nationaux. Wintrebert met à jour les percées des nouveaux entrants - leurs tentatives pour inscrire sur l’agenda politique de l’association des thèmes autres que la taxe Tobin : notamment la Palestine en 2002, le nucléaire, le féminisme, les dissensions internes dont ces thèmes sont porteurs - et les initiatives de Bernard Cassen pour en atténuer l’impact sur les structures du mouvement.

Il donne en outre quelques clés de compréhension précieuses du feuilleton de la crise d’Attac, de 2004 à 2006, qui a opposé le «clan Nikonoff» à ses détracteurs et dont on ignore si elle annonce un renouveau du mouvement ou sa disparition.

Hélas, l’ouvrage laisse cependant le lecteur sur sa faim. Tout d’abord il s’agit de sociologie qualitative et les statistiques font cruellement défaut. Certes nous ne sommes plus au temps où des équipes de sociologues pouvaient se mobiliser pour envoyer des milliers de questionnaires, rentrer les réponses sur ordinateur, et, avec des logiciels sophistiqués, répartir l’objet de leur étude sur de beaux diagrammes façon «structuralisme génétique», qui donnaient (à tort ou à raison) l’impression de pouvoir comprendre du réel davantage d’éléments que n’en pouvait saisir un journaliste. Mais de là à tomber sur une thèse de sociologie qui ne peut même pas vous dire précisément combien Attac compte d’enseignants, d’ouvriers ou de retraités, et qui ne prend même pas le soin de s’en justifier… c’est à désespérer des capacités des sciences sociales.

En second lieu, le travail de Wintrebert, comme la plupart des recherches académiques, souffre d’un manque d’audace intellectuelle, largement inhérent à une complaisance à l’égard de son sujet. A trop s’en tenir au discours des dirigeants d’Attac ou de leurs opposants en interne sur l’histoire de leur mouvement, le sociologue s’en fait le porte-parole, et oublie ce qui permet d’aller précisément au-delà de l’histoire officielle. Prenons l’exemple des finances d’Attac. Ce mouvement de 30 000 adhérents (à son apogée), qui pendant un temps vendait des centaines de T-Shirts à son emblème (fabriqués où ? par qui ? au profit de qui ?) et offrait généreusement chaque année des voyages à ses heureux représentants à Porto Alegre et à Mumbai, représentait une force économique non négligeable. Sans faire preuve d’un matérialisme excessif, il est sain, du point de vue de la sociologie politique, de s’interroger sur la gestion de l’argent, ses origines, sa destination, ce qu’il permet, ce qu’il empêche – c’eût été d’ailleurs une utile propédeutique à une étude plus large des professionnels du militantisme, de ce qui les rapproche et de ce qui les coupe des classes populaires qu’ils défendent, et à qui personne n’offre des billets d’avion, sauf les animateurs de jeux télévisés.

Bourdieu a écrit quelque part que Marx a la vérité sur Bakounine et Bakounine la vérité sur Marx. C’est le B-A-BA de la rupture avec le substantialisme en sciences sociales. Cela commande toujours de refuser le fétichisme laborieux du «spécialiste» coincé dans sa recherche et d’élargir la perspective. La vérité d’Attac est dans Le Monde Diplomatique, et la vérité du Monde Diplomatique, dans la crise générale de la gauche communiste, et non communiste française, des années 1990-2000 (crise dont le fin mot se révéla dans la dernière élection présidentielle). Aussi pour saisir une «autre» vérité d’Attac que celle que récitent ses dirigeants et leurs proches, eût-il fallu se demander ce qu’on en pensait à l’extérieur, dans les autres mouvements ou dans les partis politiques. Que disait-on dans les forums sociaux internationaux de cette machine politique française ? De ses liens avec les mouvements trotskistes ? Qu’en ont pensé tous ceux, et ils furent nombreux, qui accusèrent Attac et ses parrains du Monde Diplomatique de noyer la réflexion de la gauche dans un océan de bien-pensance aussi arrogante qu’irréaliste sur toutes les grandes questions de notre époque (de la guerre de Yougoslavie à celle du Congo en passant par la Palestine) ? En s’interrogeant sur les discours alternatifs à celui d’Attac, et les stratégies des courants alliés ou opposés à Attac, Raphaël Wintrebert se serait donné les moyens de mieux comprendre les rapports de forces sociologiques et politiques dans lesquels s’inscrivait le phénomène qu’il étudiait. Il aurait ainsi pu en analyser plus en profondeur les principaux ressorts.

Une étude sérieuse de l’altermondialisme français et européen reste donc à faire. On aimerait que l’ouvrage de Wintrebert sur Attac l’annonce comme un prélude.


Frédéric Delorca
( Mis en ligne le 29/05/2007 )
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