| Edouard Laboulaye Le Parti libéral, son programme et son avenir - Suivi de La Liberté d'enseignement et les projets de lois de M. Jules Ferry Les Belles Lettres - Bibliothèque classique de la liberté 2007 / 25 € - 163.75 ffr. / 304 pages ISBN : 978-2-251-39045-1 FORMAT : 14,0cm x 21,0cm
Préface de Michel Leter.
L'auteur du compte rendu: Guy Dreux est professeur certifié de Sciences Economiques et Sociales en région parisienne (92). Il est titulaire d'un DEA de sciences politiques sur le retour de l'URSS d'André Gide. Imprimer
Si Edouard Laboulaye (18111883) est un digne représentant du courant libéral français du XIXe siècle, il présente la particularité, selon Michel Leter (préfacier de louvrage), de représenter un courant trop souvent ignoré : celui des libéraux qui étaient aussi des républicains. Or, trop souvent, selon le même préfacier, on oppose ces deux écoles. Louvrage de Laboulaye, nommé professeur de législation comparée au Collège de France en 1849, doit donc être lu comme lillustration de ce républicanisme libéral.
Ce qui intéresse chez lui, ce nest pas tant laffirmation des grands principes philosophiques du libéralisme. Il les reprend sans trop doriginalité, comme lorsquil précise les deux conditions indispensables à la liberté : «laisser à lindividu la pleine jouissance de ses facultés, garantir ce plein exercice par des institutions qui empêchent, en les punissant, linjustice, la violence et lusurpation.» Aussi classiquement, il plaide pour une complète liberté qui nest rien dautre que «la liberté civile, sociale et politique». Avec le rappel du lien nécessaire entre liberté et propriété, voilà, au fond, le programme du parti libéral.
Loriginalité de Edouard Laboulaye réside plutôt dans sa volonté dappliquer de façon conséquente ces principes, des les inscrire dans une législation. Ainsi, sil affirme, tout empreint de religiosité, que le premier principe du parti libéral est de «penser aux autres plus quà soi», sil oppose deux types de démocraties (celle des Césars et la démocratie chrétienne) et sil opte pour la seconde quil définit ainsi : «[
] éclairée, laborieuse, où chaque individu apprend dès lenfance à se gouverner soi-même, et en se gouvernant apprend à respecter le droit de chacun, la loi protectrice des droits individuels, lautorité gardienne de la loi», dans le même temps, il soppose farouchement à tout monopole dans le domaine de lenseignement. Critique des lois Ferry (qui interdisent aux congrégations de constituer des universités), il entend faire reconnaître à lEtat le droit de toute organisation, quelle que soit sa nature (religieuse ou professionnelle, etc.), à dispenser un enseignement.
Lenseignement doit donc être lactivité dune multitude dinstitutions : «les églises, les journaux, les bibliothèques populaires, les cours publics, les réunions publiques et les milliers dassociations qui tiennent en éveil la religion, la science et lopinion.» Lessentiel en la matière est de combattre tout monopole.
Pour défendre lidée dune augmentation sensible des dépenses pour léducation, il affirme : «Que si des financiers [
] déclarent que la France nest pas de force à la supporter [il sagit dune nette augmentation du budget de léducation], je les prierai de considérer le budget de la guerre et de la marine, et je leur demanderai [
] sil y a une proportion raisonnable entre les cinq cents millions que nous dépensons chaque année pour nos armées de terre et de mer et la maigre aumône de vingt millions que nous jetons à nos écoles.» Et de préciser : «Dans un pays libre, le gros budget est celui des écoles, car cest le budget de la richesse et de la civilisation.» Par ailleurs, il ne seffraie pas de lidée décoles mixtes, si celles-ci sont sous la direction de femmes.
Réfutant lidée que les libéraux seraient des révolutionnaires, des «séditieux», il reprend sur ce terrain une thématique très tocquevillienne : les associations sont une plus grande garantie de lunité nationale que lomnipotence de lEtat : «lunité nationale na rien de commun ni avec le pouvoir absolu, ni avec luniformité de la centralisation, ni avec larbitraire de ladministration.» «Entre légoïsme individuel et le despotisme de lEtat (qui nest quune autre forme de légoïsme), lassociation place la foi, la science, la charité, lintérêt commun, cest-à-dire tout ce qui rapproche les hommes et leur apprend à se supporter et à saimer mutuellement. Elle est le ciment des sociétés ; sans elle la force est la loi du monde ; avec elle, cette loi, cest lamour.»
Enfin, son libéralisme semble parfois sappuyer sur ce que lon pourrait appeler une position épistémologique : selon lui, nous sommes condamnés à ne connaître que des vérités partielles. La concurrence et le pluralisme sont donc des formes nécessaires dorganisation de la société, si lon veut éviter tout dogmatisme. A propos de toute prétention à lomniscience, il précise : «Cest dailleurs un pauvre savant que celui qui simagine tenir la vérité tout entière ; la science se renouvelle tous les vingt ans ; cest derreurs en erreurs que nous approchons dune lumière qui fuit toujours.» Cest, semble-t-il, la clé de voûte de ses conceptions politiques et religieuses.
Guy Dreux ( Mis en ligne le 13/11/2007 ) Imprimer | | |