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| Rémi Jacobs Heitor Villa-Lobos Bleu nuit éditeur - Horizons 2010 / 20 € - 131 ffr. / 176 pages ISBN : 978-2-35884-011-8 FORMAT : 14 x 20 cm Imprimer
Au train où se déboise lAmazonie, son plus éloquent sorcier, Heitor Villa-Lobos (1887-1959), sera oublié avant la chute de lultime hévéa. Le cinquantenaire de sa mort est passé inaperçu à Paris où il vécut place Saint-Michel de 1923 à 1930, à lhôtel Bedford après 1952. Les grooms y déduisaient sa présence aux relents de ses éternels cigares, fumants malgré les litres de parfum dont il saspergeait. Mélange écurant, qui faillit dissuader Victoria de Los Angeles denregistrer la sensuelle Bacchianas Brasileiras n° 5, pour voix et huit violoncelles, hymne officieux du Brésil comme lAdagio de Barber est celui des États-Unis. Mais mélange capiteux, à limage des ballets dont la profusion rythmique et thématique, le sertissage dinstruments traditionnels, de chants doiseaux, déchos de carnaval et dastuces bruitistes (dans Amazonas, un clarinettiste est prié dôter le bec de son instrument) sont censés reproduire le «chaudron polyphonique» de la forêt primaire.
Quoique moins réfléchie que celle dun Stravinsky, moins authentique que le socle ethno-musicologique dun Bartók, la rudesse de Villa-Lobos lui a tôt valu la réputation dun «rescapé de lâge de pierre» atteint de «jazzium tremens» (Florent Schmitt), puis celle, plus tenace, dun Stakhanov amazonien, inapte à refuser une commande, brossant La Découverte de lAmérique loreille collée au transistor, alignant par séries de neuf ou douze ses Symphonies et ses inimitables Chôros, laissant à leur désarroi les chefs déroutés par limprécision de ses indications ou les pianistes aveuglés par la rutilance du génial Rudepoêma («Poème grossier», 1927), gemme taillé pour les doigts et les poings dArtur Rubinstein.
Non moins suspect a paru le syncrétisme des Bacchianas Brasileiras (1930-1945), chakchouka de Bach et de salsa, symbole de son indifférence aux dogmes ne lui doit-on pas la première audition brésilienne de la Missa solemnis de Beethoven, en 1933 ? Au Brésil même, où sa flamme est dautant mieux entretenue que, nayant pas fait école, il domine le paysage musical tel un Pain de sucre, on lui gardait rancune davoir exalté, dès les Dansas africanas de 1914, le primitivisme de populations non indigènes, et davoir peaufiné sa légende dexplorateur, lui qui promenait plus volontiers ses barreaux de chaise dans les palaces.
En France, les dernières biographies de cet avaleur de forêts dataient de 1967. Il est dautant plus regrettable que lutile ouvrage de Rémi Jacobs, que lon suit les yeux fermés dans lélagage à coups de machette dun catalogue proliférant, nexcède pas les 160 pages où lenferme la collection «Horizons», «joliment illustrée» de photos dIndiens, de lUnesco ou du Corcovado aussi conventionnelles quincongrues.
Olivier Philipponnat ( Mis en ligne le 14/07/2010 ) Imprimer | | |
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