| Mathieu Simonet Les Carnets blancs Seuil 2010 / 16,50 € - 108.08 ffr. / 188 pages ISBN : 978-2-02-099261-9 FORMAT : 14cm x 25cm
Lauteur du compte rendu : Docteur en Littérature française, professeur certifié en Lettres Modernes, Arnaud Genon enseigne à Casablanca. Membre du groupe Autofiction (CNRS-ENS), visiting scholar de ReFrance (Nottingham Trent University), auteur de Hervé Guibert, vers une esthétique postmoderne (LHarmattan, 2007), il a cofondé les sites herveguibert.net et autofiction.org. Imprimer
Hervé Guibert disait tenir aux cahiers dans lesquels il consignait son journal plus quà sa vie. Mathieu Simonet sinterroge quant à lui, dans lavant-propos de ses Carnets blancs, sur les journaux quil a tenus depuis son adolescence : «Faut-il se séparer de ses journaux intimes ?» Comme la réponse est positive, il se questionne aussi sur la manière de le faire.
Lauteur a décidé dorchestrer la disparition de ses carnets en les déposant dans des lieux publics, des bibliothèques, puis en les offrant à des proches, des personnes rencontrées qui les ont transformés, tour à tour, en robe, en gâteau, en fresque murale
Ces dons, qui sont aussi des pertes, des séparations, deviennent loccasion pour Mathieu Simonet de relire ses carnets et dy retrouver «des passages essentiels, des scènes oubliées».
Le présent «roman» est la traduction de cette expérience de la destruction de ses journaux. Mathieu Simonet y parle également de la maladie de sa mère, le cancer, de celle de son père, qui passa plusieurs mois dans un hôpital psychiatrique.
Les Carnets blancs est un roman fragmentaire, éclaté, un patchwork, une marqueterie postmoderne. Cette structure sexplique en partie par le fantasme de Mathieu Simonet «de construire sur léclatement». Ainsi, se succèdent les passages évoquant la relecture des journaux appelés à disparaître passages permettant un retour à lenfance du narrateur des extraits de ces journaux, la mise en scène de leur disparition, des fragments du blog de lécrivain, des poèmes, des notations de rêves... A cela se mêle le récit lié aux relations familiales, la mère, le père, lamant, Baptiste. Il est, malgré lui, à lorigine de ce projet puisque, avant demménager avec lauteur-narrateur, il lui demande de faire un tri dans ses affaires, de se séparer de quelques-unes dentre-elles.
Donc, revenons à la question initiale : «Faut-il se séparer de ses journaux intimes ?» On pourrait répondre oui, à la seule condition den faire autre chose, de les faire renaître dans leur «mise à mort» même, de faire de cette destruction dune écriture quotidienne le socle dune nouvelle écriture, autofictionnelle celle-là. Cest ce que fait brillamment lauteur ici, phagocytant lessentiel de ses journaux pour sécrire à nouveau, pour retrouver son passé, pour se retrouver dans un geste symbolique de perte et dabandon du moi contenu dans les journaux détruits. Et cest dans cette tension, de cette tension, cette dialectique entre la destruction et la construction, entre la perte de soi et le retour à soi quelle implique, entre la pudeur et limpudeur, entre la vie et la mort aussi que se trouve tout le champ émotionnel du roman.
Car si la destruction des carnets est souvent considérée dans son aspect ludique par lauteur et linventivité dont il fait preuve relève un goût du jeu certain , un de ses amis lui fait comprendre quil y a dans ce geste quelque chose de beaucoup moins léger quil ny paraît, quelque chose de grave même, qui met parfois lécrivain dans un état de malaise. On ne se perd pas, on ne sabandonne pas ainsi «gratuitement». Dans ce jeu, le «je» en prend pour son compte. Il y a toujours une part de risque dans lécriture de soi. Cest là le signe de la Littérature. Baptiste, dailleurs, ne comprend pas cette manie de tout raconter, daller à «ce niveau dintimité». Cest quau-delà du jeu, au-delà du risque, lécriture autofictionnelle se conçoit pour celui qui linvestit comme une nécessité puisquelle permet dexister : «Elle me console comme on ne me consolera jamais».
Arnaud Genon ( Mis en ligne le 11/09/2010 ) Imprimer | | |