| Joyce Carol Oates Carthage Editions Philippe Rey 2015 / 24.50 € - 160.48 ffr. / 597 pages ISBN : 978-2-84876-481-8 FORMAT : 14,5 cm × 22,0 cm
Claude Seban (Traducteur) Imprimer
Avec Carthage, Joyce Carol Oates explore lAmérique de nos jours. Laction se passe entre 2005 et 2012 et commence comme un thriller classique : le premier chapitre sintitule ''Perdue, 10 juillet 2005'', et débute ainsi : «Cette fille qui sest perdue dans la réserve du Nautauga. Ou, cette fille qui a sans doute été tuée et cachée quelque part» Thriller classique
sauf quun prologue ouvre le livre : «Juillet 2005. On ne maimait pas assez. Cest pour ça que jai disparu»...
Joyce Carol Oates construit son livre comme une tragédie classique : un prologue, trois parties, un épilogue. Ses héroïnes ont des prénoms shakespeariens : Cressida, la disparue, et sa sur, Juliet. Le père porte le prénom du philosophe antique Zénon, celui dont la flèche natteint jamais son but
Plus banal, et sonnant français, le prénom de la mère, Arlette, banalité qui répond à son personnage de mère sans histoire, saffairant pour que tout son entourage soit heureux dans un confort tranquille. Un personnage un peu falot sans doute, mais qui révèle progressivement sa force et sa capacité de résistance au mal, quil soit physique - le cancer quelle affronte - ou dune autre nature : le pardon quelle accorde au meurtrier de sa fille.
Dès le début du roman, le lecteur apprend tout : la disparition de Cressida, le rôle de Brett Kincaid, le fiancé de sa sur, héros revenu mutilé dIrak et incapable de se réadapter à une société qui ne le reconnaît plus et ne lui fait plus aucune place, à lexception de sa fiancée aimante Juliet ; la trop lisse, trop blonde, trop parfaite Juliet, incarnation de lidéal féminin américain, et qui suivra jusquau bout cet idéal des classes moyennes aisées auxquelles elle appartient. Cressida, elle, est une figure de rebelle, hantée très tôt par la conviction quelle nest pas aimée, au contraire de sa sur, quelle na pas de place, pas davantage que nen ont les personnages à la Escher quelle dessine inlassablement : silhouettes qui montent et descendent des escaliers sans jamais se rencontrer
Cressida se sent condamnée à cette errance, dès son adolescence, et à envier le sort de Juliet. Juliet dont elle pourrit la vie autant quelle le peut
La belle et la pas belle : deux destins tracés dès lenfance
Cressida, personnage énigmatique, adolescente mal dans sa peau, voire davantage (autiste ?) qui cherche inlassablement sa place et se revendique comme inadaptée, mutilée de la société tout autant, quoique de façon très différente que Brett. Brett, au cur du livre, lui aussi, bouc émissaire, victime des différents maux de la société américaine.
Joyce Carol Oates utilise ses personnages quelle place dans des jeux de rôle, pour dénoncer la bien-pensance des classes moyennes, la guerre, le système carcéral, la peine de mort
Un réquisitoire implacable mené en trois temps : la dénonciation du confort moral des classes moyennes aisées dans la première partie, la visite dune prison de Floride menée par un surveillant sadique dans la seconde partie, les thèmes de la destruction, de la culpabilité et les pistes à emprunter pour sen évader dans la troisième partie. Un bref épilogue
chemin de rédemption ?
Un épais roman, avec plusieurs niveaux de lecture, dans lequel Joyce Carol Oates brasse des thèmes qui ne peuvent laisser insensible, autour de la question du mal sous toutes ses formes (jalousie, violence, meurtre, haine). Une fois de plus, elle administre la preuve de son talent de romancière avec une construction complexe, des renversements de situation, une lecture ouverte jusquà la dernière phrase.
Gare au lecteur qui pense avoir tout saisi de lintrigue dès les premières pages
Marie-Paule Caire ( Mis en ligne le 11/12/2015 ) Imprimer
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