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L’insurrection des vivants | | | Danièle Georget Une passion hongroise Plon 2008 / 21 € - 137.55 ffr. / 379 pages ISBN : 9782259208321 FORMAT : 13.5 x 20.5 cm
Date de parution : 21/08/2008. Imprimer
1956, un monde tremble, vacille et sa peau épaisse de vieux dinosaure se fendille douloureusement. Quelque part en Europe Centrale, un désir fou de vivre vient d'exploser, imprévu et magnifique. Un soleil radieux et sanglant déferle soudain sur les plaines hongroises défigurées par les miradors, et les rues se remplissent d'enfants armés, heureux. Partout, des trous sont découpés dans le drapeau national et sa silhouette mutilée flotte avec le parfum de la victoire, au milieu des volutes de poussières qui s'élèvent des décombres de l'étoile rouge, systématiquement effacée à coup de mitraillette de tous les bâtiments qu'elle surplombait.
«Ruszkik haza!», «Les Russes, dehors!», ce sont les premiers mots de la langue locale qu'apprennent les reporters envoyés par Paris-Match afin de couvrir l'évènement. En effet, c'est ce qui interpelle les observateurs extérieurs : comment un peuple minuscule, ancré à un territoire exigu et dépourvu de tout appui extérieur, peut-il faire plier la deuxième puissance mondiale, l'immense Union Soviétique, le vainqueur de cette Deuxième Guerre Mondiale dont l'ombre de souffrance revient hanter les consciences tout au long du roman?
Malgré tout, pour François comme Anna, deux reporters-photographes que le hasard d'une panne automobile a poussés à échanger les premiers mots, le regard géopolitique n'est pas le plus parlant. Ils ont choisi ce métier par goût de la beauté et de l'aventure, et finalement qu'importe si l'intervention française sur le canal de Suez augure mal de la publicité donnée à leur travail ; ils ne sont pas là pour ramener des images de cadavres, mais des instantanés de la joie, de l'énergie, même désespérée, qui coulent à si gros bouillons sur les pavés noyés de chaux par précaution sanitaire.
Cette vitalité, ils la trouvent sur le visage des combattants, épuisés, amoureux, emportés par le jeu à échelle géante de la guerre échelle pourtant si étroite puisque, au-delà des frontières, lindifférence est aussi violente que lenthousiasme dans les rues de Budapest. Mais surtout, la rage dêtre enfin vivants leur apparaît à lendroit où ils lattendaient le moins : au creux deux, dans leurs curs, leurs ventres, tout autant que dans leurs yeux. Après la jouissance extrême de la rébellion, extase et héroïsme dont ils veulent témoigner à tout prix, même la servitude naura plus jamais le même goût, entachée damertume et dorgueil quelle est désormais. Et lon n'imagine pas léclair de lucidité provoqué par lembrasement, laisser indemnes ceux quil a, un temps, brûlés.
Avec ce remarquable roman richement documenté (qui a lélégance de refuser denfermer lévènement dans des problématiques purement stratégiques), Danièle Georget dresse le tableau saisissant de dix jours qui portaient en eux le germe dune révolution trop abasourdissante pour que le monde prête attention à ce quavec sa myopie habituelle il a pris pour un portrait sépia. Évidemment, à côté du beau spectacle offert par les soldats bronzés, propres et solidement armés qui prenaient position près du canal de Suez, sur fond de ciel bleu, «les héros de Budapest, avec leurs bérets, leurs mitaines, en avaient pris un sacré coup de vieux». Ils nétaient pas photogéniques. Et pourtant, lécriture souple, riche de comparaisons, visuelle et venant du cur recrée pour nous leurs silhouettes et leurs rêves, tout cela à partir de lhistoire véridique de Jean-Pierre Pedrazzini dont la statue sur la place Köztarsasag rappelle aux Hongrois quil y a eu un étranger pour partager leur combat.
Aurore Lesage ( Mis en ligne le 22/08/2008 ) Imprimer | | |