| August Strindberg Correspondance - Tome 3 - (1894-1912) Zulma 2012 / 22.40 € - 146.72 ffr. / 535 pages ISBN : 978-2-84304-592-9 FORMAT : 12,5 cm × 19,0 cm
Elena Balzamo (Traducteur) Imprimer
Le dernier des trois volumes de lettres de Strindberg choisies par Elena Balzamo pour Zulma couvre dix-huit années (1894-1912), période «infernale» (du texte-confession Inferno) incluse. À cinquante ans, Strindberg loge sous les toits parisiens, vagabonde, jongle tant bien que mal avec ses mariages et ses divorces, et sinquiète à sa façon de sa progéniture.
Lécrivain, à cette époque, se trouve accablé de fièvres mystiques. À limage dune Europe crépitant dans lalambic progressiste, Strindberg est un précipité explosif de socialisme déluré, de christianisme en roue libre, doccultisme sauce Allan Kardec et dalchimie à la Papus à qui il écrit très simplement : «je fais de lor». Ivre de conscience comme son siècle, puis, comme le suivant, plus très assuré de celle-ci, il commence à entendre des voix et à tailler des bavettes avec les anges. Quimporte le flacon ! Comme lEurope fin de siècle encore, Strindberg a tâté du naturalisme, du scientisme, du satanisme, un peu de magie, avant dopter pour un bon vieux catholicisme délesté de son Christ, naturellement ; lécrivain se sent trop christ lui-même pour aller sencombrer dun autre trop douillet à son goût, en plus dêtre un concurrent déloyal aux palmes du martyre : «Il y a trois ans, mon âme souffrait tellement que la vie me semblait sublime, les supplices endurés quotidiennement dans cet enfer me donnaient limpression dêtre au paradis». À la fin de sa vie, Strindberg sisole dans une tour-purgatoire, pour sy éteindre bientôt, en stylite apaisé.
Strindberg, ce composé chimique instable, aura sans cesse cavalé à la poursuite de sa formule propre. Thèse : être tout ce quon peut, «à condition quon reste fidèle à soi-même, y compris dans ses mutations». Antithèse : «Je ne suis plus «le même» et ne le deviendrai jamais». Synthèse : devenir soi, mais jamais le même. Risquer toutes les dépenses, tous les paris tous les masques : «Du reste, si le réel te trahit, tu nas quà ten inventer un autre, comme moi qui me suis inventé une personnalité, lorsque jen avais eu marre de la mienne». Quimporte les contradictions, qui germent au point de rupture du sentiment comme de la phrase : «Sincèrement, écrit-il à sa seconde femme, vous avez adouci mon existence que vous avez rendue si amère !»
Bien sûr, les lettres de Strindberg sont aux antipodes du style léché (français ?). Lécrivain ne se regarde jamais penser : la cadence, leffusion pensent pour elles-mêmes. Toute conclusion, toute phrase non demblée remise en cause prendrait des airs de carpe asphyxiée. Pour Strindberg poisson-volant, il ne sagit jamais que de laisser valser les écailles, quaffleurent dautres plus nerveuses. Au diable les paradoxes en sucre, les pensées comme des perles
Les succès et les mésaventures, la fugacité du temps comme labondance des choses à considérer, bref, tout le passé et tout lavenir font tracer à la main de lécrivain des mots mort-nés, dont leffusion est la vie.
Strindberg est la tension même : pour sen convaincre, quon jette un il à lun des portraits de lécrivain, où lon voit flamber, au milieu dune tête de chat sauvage, des yeux de python extralucide. Jusquau bout, de ces lettres émane le délire du désaxé accaparé par ses jeux fanatiques : écriture, alchimie, théâtre, amour, famille, botanique, cosmographie et clestographie, qui ne laissent vierge aucune parcelle de lunivers. Strindberg découvre des nerfs dans les plantes, écrit des articles sur la rotation de la Terre, et, on la dit, fait de lor. À le lire, on se persuade un instant que lécrivain la bien découverte, sa pierre philosophale ; et quil est curieux que lhistoire des sciences soit passée à côté de cet héritier de Nicolas Flamel.
Le plus beau chez Strindberg, cest sa bonhomie dans lexorbitant, son espèce de puérilité mystique ; son «on verra bien» aussi, opium nécessaire à lartiste sorti de ses gonds. Se frotter sans cesse les nerfs à la meule cosmique, ça use, et ce nest pas un hasard si un de ses articles publié par Le Figaro a pour titre ''Sensations détraquées''.
Pour écrire, Strindberg aura travaillé, avec le monde, à son propre chamboulement psychique. Les artistes de sa trempe sont pauvres essentiellement, qui passent leur vie à rembourser à taux usuraire la matière que le monde ne leur prête quà contrecur. Puis ils meurent. Quimporte pour Strindberg, qui déclare, avec sa logique tout occulte : «Je tiens limmortalité de lâme pour une évidence. Je me sens immortel, donc je le suis».
Jean-Baptiste Fichet ( Mis en ligne le 28/01/2013 ) Imprimer
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