| Eric Marty Roland Barthes, la littérature et le droit à la mort Seuil 2010 / 9,50 € - 62.23 ffr. / 58 pages ISBN : 978-2-02-102822-5 FORMAT : 13cm x 18,5cm
Lauteur du compte rendu : Docteur en Littérature française, professeur certifié en Lettres Modernes, Arnaud Genon enseigne à Casablanca. Visiting scholar de ReFrance (Nottingham Trent University), auteur de Hervé Guibert, vers une esthétique postmoderne (LHarmattan, 2007), il a cofondé les sites herveguibert.net et autofiction.org. Imprimer
En mars 2009, les éditions du Seuil publiaient le Journal de deuil de Roland Barthes, ensemble de 330 fiches dans lesquelles il consignait la douleur et le désarroi qui le hantaient suite à la perte de sa mère, le 25 octobre 1977. Un an après la publication de ce texte posthume, trente ans après la mort du critique, Éric Marty, proche de Barthes à la fin de sa vie, auteur de nombreux travaux sur lauteur et éditeur de ses uvres complètes, donnait une conférence au Collège de France intitulée Roland Barthes, la littérature et le droit à la mort dans laquelle il revenait sur «ce livre inclassable».
Le journal aura été, à la fin de la vie de Barthes, «une tentation à laquelle il faut résister». En effet, les deux approches du genre que constituent Soirées de Paris (une quinzaine dentrées entre août et septembre 1979) et Journal de deuil (330 fiches du 26 octobre 1977 au 15 septembre 1979), sont tout autant la manifestation du désir de cette pratique littéraire quune volonté de prendre le genre à contre-pied en visant «à une sorte de déclassement, de mobilité, de dispersion», là où Blanchot voyait une «régularité heureuse quon sengage à ne pas menacer». Ces deux tentatives sinscrivaient dans un projet de livre à venir intitulé Vita nova et donc, contrairement à ce quavançait François Wahl lors de la sortie de Journal de deuil, «il ny a pas eu fraude à les publier».
Éric Marty rapproche le texte de Barthes à la sorte de «Journal de deuil» quavait écrit Stéphane Mallarmé à la mort de son fils Anatole. Dans les deux cas, le «journal» nest pas le lieu où tout se dit mais, paradoxalement, où il y a de «moins en moins à écrire», où plus lon est juste et plus la parole se raréfie : «ce journal [
] nest peut-être pas autre chose que lOdyssée dune écriture vouée à séteindre, promise à lextinction, au silence, au rien, parce quelle na rien à écrire, sinon cela, mais quon ne peut dire à personne».
Chemin faisant, Roland Barthes parviendra dans cet ensemble de notes à lextrême du deuil, «cet extrême qui rétrécit soudainement et violemment toute expression, et force à penser lettre pour lettre le à jamais». Ce savoir littéral, «lettre pour lettre», savère être «connaissance absolue de la mort», qui ne renvoie plus seulement à celle de la mère, mais à la sienne propre. Et cest dans cette proximité de la mort, dans ce «mouvement de mort et déloignement de la mort» que nait lacte décrire.
Ce court essai est une très fine lecture de Barthes, une lecture barthésienne de ce Journal de deuil. Cest en cela quil constitue un bel hommage, un détour savoureux qui nous rappelle au Maître et à son uvre.
Arnaud Genon ( Mis en ligne le 21/05/2010 ) Imprimer
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