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Vie et mort d’une scierie | | | Tim Gautreaux Le Dernier arbre Seuil - Points 2014 / 8,10 € - 53.06 ffr. / 471 pages ISBN : 978-2-7578-4551-6 FORMAT : 10,9 cm × 17,7 cm
Première publication française en septembre 2013 (Seuil)
Jean-Paul Gratias (Traducteur) Imprimer
Tim Gautreaux, professeur émérite danglais à la Southeastern Louisiana University, né en 1947, appartient au Sud des États-Unis ; il ne commença à écrire que tardivement, des nouvelles d'abord puis un premier roman, The Next Step in the Dance (1998) et en 2003 Le Dernier arbre, fort bien traduit par Jean-Paul Gratias. On retrouve dans son uvre - et dans ce livre - toute la tradition américaine de romans sur la nature, ici le Sud avec ses marais glauques, habités dalligators et de mocassins deau, ses forêts denses de cyprès chauves. Sy ajoutent les relations inégales entre blancs et noirs.
Un roman âpre et tragique qui se passe au lendemain de la Première Guerre mondiale et met en scène des hommes et une nature blessés de façon définitive. Byron, lun des principaux héros, est revenu de la guerre détruit par ce quil a vécu sur le front en France ; fils dun puissant homme daffaires de Pittsburgh, dont la fortune se construit dans les scieries, Byron a trouvé refuge loin de sa Pennsylvanie natale et loin de sa famille dans une scierie perdue du Sud, à Nimbus. Après avoir retrouvé sa trace, son père envoie son second fils, Randolph, pour le ramener. Celui-ci devient le patron de la scierie et tente de ramener son frère à la famille et à une vie «normale». Randolph est blessé lui aussi, dune autre façon ; il ne parvient pas à donner denfant à son épouse, et se retrouve mal préparé à lunivers sauvage dans lequel il plonge brusquement. Hommes blessés également, ceux qui dans ce western sudiste sont les méchants : les Siciliens de la mafia, Buzzetti, linquiétant Crouch, qui, eux aussi, ont fait la guerre.
La guerre qui détruit tout sur son passage comme elle a détruit lenfance paisible du jeune Melville, il y a longtemps, au temps de la guerre de Sécession, ou encore la carrière de Sydney Rosen, chirurgien militaire. Melville, vieil homme, tente de faire respecter la justice ou du moins ce qui peut en tenir lieu dans ce monde sans espoir. Tous se retrouvent autour de la destruction systématique de la forêt millénaire pour la prospérité de la scierie et de ses propriétaires, tandis que les ouvriers noirs ou blancs sont exploités. La paix retrouvée entre les nations, la guerre continue dautre façon entre les hommes, sous la forme de la vengeance, de lexploitation, comme si elle ne pouvait être que la seule expression des relations humaines. Tim Gautreaux peint un monde sans pitié, un univers d'ouvriers abrutis par le travail, lalcool, les loisirs misérables, les bagarres de saloon, un univers fermé sur lui-même, aux dimensions de la forêt décimée avec brutalité.
Dans cet enfer vert et marécageux, les femmes portent la civilisation : Lilian, lépouse de Randolph, Ella, celle de Byron, May la gouvernante noire qui espère échapper à son destin, tandis que rôde une violence omniprésente. Une violence qui népargne nul innocent, pas même le vieux cheval fidèle, ni même le dernier arbre de la parcelle qui tombe dans un silence général.
Un roman puissant, sur cette frontière fragile entre civilisation et barbarie.
Marie-Paule Caire ( Mis en ligne le 22/09/2014 ) Imprimer | | |