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Histoire & Sciences sociales -> Période Moderne |
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Un auteur à suivre à la lettre | | | Roger Duchêne Comme une lettre à la poste - Le progrès de l'écriture personnelle sous Louis XIV Fayard 2006 / 22 € - 144.1 ffr. / 370 pages ISBN : 2-213-62835-1 FORMAT : 15,5cm x 23,5cm
L'auteur du compte rendu : Rémi Mathis est élève à l'Ecole Nationale des Chartes. Il prépare une thèse sur Simon Arnauld de Pomponne sous la direction d'Olivier Poncet (ENC) et Lucien Bély (Paris IV). Imprimer
Jay fait response à Mme de Sevigné mais non pas selon sa lettre, il ny a quelle au monde qui escrit de cette sorte», écrit Pomponne à son père, Arnauld dAndilly. Bien quétant de la vieille école (il a 35 ans de plus que la marquise), ce dernier apprécie particulièrement les lettres de Mme de Sévigné qui montre en retour de la tendresse pour lui. Ainsi, ce vieil homme qui a connu la meilleure partie des règnes de Louis XIII et Louis XIV semble lincarnation de lévolution de lécriture épistolaire qui a lieu sans solution de continuité tout au long du Grand Siècle.
Louvrage de Roger Duchêne est organisé en deux grandes parties qui correspondent aux deux temps qui rythment lécriture épistolaire au cours de ce siècle. En effet, la lettre écrite au fil de la plume, telle quon la connaît de nos jours, est relativement récente. Pendant toute la Renaissance et jusque vers 1650, le modèle est la «lettre familière», c'est-à-dire, une lettre de savant, écrite dabord en latin puis en français par un homme pétri de culture gréco-latine, imitée dun certain nombre danciens, particulièrement Cicéron. Tout au long des XVIe et XVIIe siècles, la lettre sert de lieu dexpérimentation pour une prose française qui se façonne : on réfléchit, on publie, on traduit, des recueils de modèles paraissent. Avec la disparition de léloquence judiciaire, on se tourne vers ce type décrits qui permettent dévoquer des thèmes politiques ou moraux. Le modèle se diversifie pour triompher avec Balzac qui fait paraître ses lettres en 1624.
Mais ces modèles excluent une partie de la population certes lettrée mais qui ne possède pas la culture classique des élites : les femmes. Pour Mme de Sablé, la lettre sert avant tout à faire passer une information ou à discuter avec un absent, en plaisant au destinataire : elle na pas étudié la manière de Cicéron. Dans cette façon décrire reprise par Voiture, on ne sadresse plus à lensemble des hommes mais à son seul correspondant, complice. Le genre nest plus régi par lérudition mais par la mondanité, ce qui a une influence directe sur son contenu mais également sur le statut social des scripteurs.
Mais le développement de la correspondance nest pas un phénomène purement culturel. M. Duchêne ne manque pas de souligner que des conditions techniques extérieures ont une grande influence sur les pratiques décriture : les initiatives politiques ont joué un rôle de premier plan dans la naissance de ce genre. Cest la réorganisation des postes effectuée par Louvois qui permet dexpédier à lautre bout du royaume des nouvelles de la cour ou dune lointaine province en un temps suffisamment court et sans risque trop important de perte.
Lentreprise de M. Duchêne ne se limite toutefois pas au style et à lécriture de la lettre. Il sintéresse à son devenir une fois quelle est envoyée et surtout reçue (la lecture de la lettre, sa destinée une fois lue,
) avec toutes les implications que cela peut avoir pour la conservation et donc la connaissance que nous avons aujourdhui de ces écrits. Á travers de très nombreux exemples (Mme de La Fayette, Bussy, Costar,
) et dun certain nombre de chapitres thématiques, Roger Duchêne interroge le statut de la lettre et le compare aux autres pratiques (conversation,
) et aux autres genres alors en vogue (mémoires, portrait, roman,
).
Comme tous les écrits du for intérieur, la correspondance est depuis quelques années lobjet dun regain dintérêt de la part des communautés littéraire et historique. En amont sont publiées des éditions de correspondances, souvent dun grand intérêt. En aval, des belles études comme celle de Luc Vaillancourt (Champion, 2003) sont menées, prenant les éditions comme matériau. Roger Duchêne est un des pionniers de cette attention portée à ces écrits ambigus. Il est notamment lauteur de lextraordinaire édition de la correspondance de Mme de Sévigné dans la bibliothèque de la Pléiade. Ancien professeur à lUniversité dAix-en-Provence, spécialiste de la littérature du XVIIe siècle, il a publié des biographies de Mme de Sévigné, Mme de La Fayette ou Molière. Ses recherches sur la préciosité mais surtout son activité déditeur scientifique lont donc amené à étudier de plus près la manière dont apparaît cette nouvelle façon décrire.
Accompagné dune bibliographie qui recense les principaux recueils de lettres du XVIIe siècle ainsi que quelques études récentes sur le sujet afin que le lecteur puisse approfondir sa découverte et surtout dun index des noms propres, louvrage se place à la portée dun public intéressé par la littérature du XVIIe siècle. Tout juste regrette-t-on labsence dannexes qui permettent dapprécier les divers auteurs étudiés dans le fil du texte, car cette littérature, bien souvent, nest pas réimprimée ou alors à prix dor.
Tout comme il a été charnière en matière de politique et parallèlement à ce fait , le Grand Siècle a été celui de lapparition de nouvelles sociabilités qui ont influé sur une littérature du temps. Les mondains de lépoque, bien loin dêtre ridicules, ont permis la naissance dune façon de lire et décrire, ont créé de nouveaux buts, de nouvelles valeurs littéraires. Grâce à ce livre qui rend toute leur place à des auteurs peut-être trop oubliés, faisant la part belle à lhistoire des genres, le lecteur comprendra aussi comment sont apparues des notions centrales de la littérature daujourdhui jusquà être trop envahissantes, la vérité et lauthenticité.
Rémi Mathis ( Mis en ligne le 01/06/2006 ) Imprimer
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