| Gordon Thomas Histoire des services secrets britanniques J'ai lu - Document 2010 / 8.40 € - 55.02 ffr. / 635 pages ISBN : 978-2-290-01716-6 FORMAT : 11cm x 18cm
Première publication en septembre 2008 (Nouveau Monde)
Traduction de Mickey Gaboriaud.
L'auteur du compte rendu: Gilles Ferragu est maître de conférences en histoire contemporaine à luniversité Paris X Nanterre et à lIEP de Paris. Imprimer
Un nouvel opus de Gordon Thomas, journaliste désormais bien traduit en France et spécialisé dans le secret et le renseignement : après la CIA (Les Armes secrètes de la CIA) et le Mossad (Histoire secrète du Mossad), Thomas a tourné sa plume du côté de la Tamise et des services secrets anglais. Bienvenue dans le monde de Bond, James Bond.
Au sommaire, une histoire ancienne, qui accompagne le déclin dune puissance mondiale, devenue régionale. Car le Royaume-Uni fut cet «empire sur lequel le soleil ne se couchait jamais»
avant, du fait de deux guerres et de lavènement américain, de voir son influence diminuer. Mais ses services de renseignement et de sécurité ont gardé de leurs années asiatiques ou orientales quelques traditions, quelques réseaux (comme en Afghanistan) qui en font encore un membre de poids de la communauté du renseignement, et lallié privilégié des services américains (alliance de fait, matérialisée par deux accords de 1945 et 1947). Malgré une histoire haute en couleurs, traversée par quelques crises majeures (comme laffaire des Cinq de Cambridge, évoquée dans Spycatcher), lAngleterre a donc su tenir son rang.
Louvrage démarre avec un aperçu, vu den haut, de la manière dont les services de sécurité anglais MI5 (sécurité intérieure) et MI6 (renseignement) gèrent le risque terroriste, non sans instrumentalisations politiques (la seconde guerre dIrak et la question des «armes de destruction massive» le démontrent). Et, comme une perspective possible, on découvre que Londres disposait, au plus haut niveau des services de renseignement iraniens, dune taupe. Car voilà le vrai «grand jeu» du renseignement, objet de toutes les curiosités de Gordon Thomas : la guerre secrète, ses retournements, la traque des agents doubles, les opérations spéciales et autres exfiltrations
Depuis la Seconde Guerre mondiale et les efforts de Churchill pour détourner les V2 du centre londonien, jusquà lespionnage des puissances nucléaires, en passant par la Guerre froide et le duel contre le KGB (à coup de retournement dagents et de tunnel berlinois), louvrage narre une guerre de lombre qui ne sest jamais vraiment achevée, et un grand jeu toujours aussi risqué. Une pincée de John Le Carré, un peu de Ian Fleming : G. Thomas cherche évidemment le sensationnel et la révélation dimportance avec, en frontispice, lidée que la réalité est plus incroyable que la fiction. Soit
Et lon y croise quelques célébrités, dans cet ouvrage, à commencer par Churchill, fan de renseignement et des opérations spéciales (les SOE), qui se fait raconter toute la nuit les exploits des barbouzes de Sa Majesté. Quelques taupes également, dont le célébrissime Kim Philby, ponte du MI6 (quil représente auprès de la CIA) recruté par le KGB à luniversité (parmi les Magnificent five) et grande figure de traitre. Le récit de sa «traque» est un grand moment. En coupe, les relations avec la CIA reviennent fréquemment, pour un service qui va longtemps traîner les casseroles de laffaire Philby (mais la CIA, avec laffaire Ames notamment, connaît un sérieux retour de manivelle). Malheureusement, il y en eut dautres, et de mieux dissimulées, tel ce Georges Blake, pourtant placé au cur dun des plus audacieux projets despionnage occidental, qui visait les communications de larmée rouge à Berlin.
Dans le même ordre didée, on suit la mise en uvre de lopération Mousquetaire (le débarquement franco-anglais à Suez en 1956) et les échos préparatoires à lopération Kadesh (la participation israélienne au projet), les démêlés avec lIrlande du Nord et lIRA (qui fricote avec le Hezbollah et tout ce que le proche Orient compte de terroristes), ou encore les manuvres anglaises en URSS (grâce à une taupe installée au plus haut niveau du KGB, au sein du premier directorat, le rezident Gordievski) et en Afghanistan (en collaboration avec un certain «Lion du Panshir» qui nest pas encore le commandant Massoud, mais qui envoie déjà ses hommes sentraîner en Écosse !). Le grand jeu, dans toute sa splendeur, avec ses victoires secrètes et ses échecs.
Insensiblement toutefois, Gordon Thomas revient à ses premiers amours (ou à son domaine de prédilection) et cette histoire du MI6 vire fréquemment à une histoire de la CIA, de ses espions, de ses pratiques (avec un résumé des ouvrages précédents du même auteur, notamment concernant les armes secrètes et le projet MK Ultra)
pas inintéressante du reste dans un esprit de comparaison (le récit des diverses trahisons qui accablent la centrale américaine est bien mené, et lon compatit aux soucis de W. Casey, le directeur dalors)
Mais c'est un peu hors de propos. Le constat final, cest que les services anglais ont vu leur domaine dintervention réduit par limpérialisme du renseignement américain, un impérialisme technologique (le fameux SIGINT) pris en défaut par les attentats du 11 septembre. Le terrorisme demeurant la menace prioritaire, lhistoire est loin de sachever.
Cest du Gordon Thomas, cest à dire un style particulier, à mi-chemin entre le thriller dinvestigation, lenquête romancée et la chronique historique : une écriture agréable, pas très scientifique mais qui se lit comme un bon roman despionnage. Peu (voire pas) de références darchives, juste une liste dhonorables correspondants quil faut bien qualifier de sources, avec, en deus ex machina, un auteur qui aime à se mettre en scène dans ses conversations. Et une histoire sous forme de récits vaguement dramatisés, agrémentés de portraits à la romaine (un peu stéréotypés parfois : les Anglais ne naissent pas tous dans le tweed et le thé quand même !), danecdotes, de révélations croustillantes, dopérations ultra-secrètes (réussies ou ratées). On y apprend lorigine des surnoms «M» et «Q», on y découvre les charmes des maîtres-espions dun service qui serait né au XVIIe siècle, on y croise de ces personnalités bizarres qui ont le génie de lorganisation
Un récit haut en couleurs, dont il faut espérer quune bonne partie soit authentique. Bref, un ouvrage qui a le même charme que les précédents, et qui se dévore comme un bon thriller, mais qui laisse toujours à lamateur dhistoire un arrière-goût de romanesque.
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 13/07/2010 ) Imprimer
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