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Histoire & Sciences sociales -> Période Contemporaine |
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''Une longue vie, étrange mais productive'' | | | Collectif Paul Otlet (1868-1944) - Architecte du savoir, Artisan de paix Les Impressions nouvelles 2010 / 17 € - 111.35 ffr. / 208 pages ISBN : 978-2-87449-095-8 FORMAT : 14,8 x 21 cm
L'auteur du compte rendu : Chargé d'enseignement en FLE à l'Université de Liège, Frédéric Saenen a publié plusieurs recueils de poésie et collabore à de nombreuses revues littéraires, tant en Belgique qu'en France (Le Fram, Tsimtsoum, La Presse littéraire, Sitartmag.com, etc.). Depuis mai 2003, il anime avec son ami Frédéric Dufoing la revue de critique littéraire et politique Jibrile. Imprimer
Fin 2006, Les Impressions Nouvelles publiaient la biographie du Belge Paul Otlet (1868-1944), cet esprit universel et autodidacte quobsédait lidée de rassembler toutes les formes du savoir humain afin daboutir à une concorde universelle. Reste aujourdhui des utopies nourries par cet homme assoiffé de connaissances, un lieu de mémoire sis à Mons : le Mundaneum. Ce remarquable centre documentaire est à lorigine dun ouvrage collectif détudes qui viennent éclairer les dernières zones dombre liées à un personnage hors du commun
Dans une première contribution, Warden Boyd Rayward retrace le parcours dOtlet, depuis son engagement comme stagiaire auprès du célèbre avocat et écrivain Edmond Picard jusquau développement détaillé de ses projets de classement, qui donneront naissance à des instituts comme lOffice International de Bibliographie ou encore à la Classification Décimale Universelle. Lamitié intellectuelle qui lia Henri La Fontaine, Prix Nobel de la Paix en 1913, et Otlet évoque, le ridicule en moins, la foi positiviste qui consumait Bouvard et Pécuchet. Les ambitions de nos deux Bruxellois était vertigineuse, au point quils ne pensaient plus guère le réel quen termes dencyclopédisme, déchanges mondiaux et de réunion des associations internationales !
La Première Guerre mondiale et la perte dun de ses fils au front marqueront une rupture dans la vie dOtlet. La tragédie qui le touche, au lieu de labattre, renforce sa vocation pacifiste. Cette préoccupation sous-tendra le projet du premier Mundaneum, sorte de Cité idéale à prendre comme modèle pour une reconstruction de lEurope en ruines. Cest pourtant la SDN, soutenue par le Président Wilson, qui remportera tous les suffrages pour assumer ce rôle, avec le succès futur que lon sait
Relégué aux oubliettes, son contenu seffritant et se fragilisant au fil de déménagements successifs, lencombrant Palais mondial dOtlet devint une espèce de monstre de papier fantomatique et errant, un trésor darchives jugées obsolètes par la folie des hommes, qui allait dailleurs se déchaîner à nouveau en 1940. Warden Boyd Rayward se plaît cependant à souligner à quel point les intuitions formulées dès 1934 par Otlet en matière de communication étaient avant-gardistes.
Cest dailleurs cet aspect visionnaire que se charge de défendre Charles van den Heuvel, lorsquil sintéresse à Otlet comme figurant parmi «ces érudits européens comme Paul Geddes, [
] Otto Neurath et Wilhelm Ostwalt [qui] ont exploré lorganisation, lenrichissement, et la diffusion des connaissances à une échelle mondiale, dans le but de parvenir à une société pacifiée et universelle». Aboli donc, laméricanocentrisme qui consiste à voir dans les autoroutes de linformation une technologie étasunienne ; place à la réhabilitation pleine et entière dOtlet comme penseur de léchange du savoir en réseau et comme concepteur du multimédia, dans la mesure où le précurseur envisageait dassocier lutilisation du texte, de la photographie et du téléphone ! Lidée dun tel «cerveau mécanique collectif» préfigure, selon van den Heuvel, certaines caractéristiques du Web sémantique et du Web 2.0
Louvrage regorge dautres regards passionnants. Stéphanie Manfroid et Jacques Gillen plongent dans les papiers personnels de Paul Otlet afin de déterminer en quoi son milieu socio-culturel et son éducation bourgeoise ont constitué un «environnement déterminant» à sa future vocation. Jean-François Combois resitue quant à lui Otlet dans le contexte des sciences sociales de son temps et souligne à quel point la transversalité des disciplines que recouvrait alors ce champ ne pouvait quentrer en convergence avec le souci dexhaustivité nourri par les experts en bibliographie. Enfin, létude de Valérie Montens émeut, parce quelle rappelle à quel point la vaste collection de livres, documents, affiches et périodiques dOtlet fut asphyxiée par le peu de latitude spatiale qui lui fut accordée par le gouvernement belge, quand bien même une aile du Palais du Cinquantenaire avait été dégagée spécialement à son usage
Montens voit dans cette précarité, aggravée par laffligeante indifférence des autorités politiques, la cause de léchec du projet dOtlet.
Un très bel hommage, en somme, que ce recueil aux avis croisés et complémentaires, et qui montre que les idées les plus nobles sont toujours les moins écoutées par lHistoire. Parce quelles sont les plus simples ?
Frédéric Saenen ( Mis en ligne le 20/07/2010 ) Imprimer
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