| Claude Sintes Sur la mer violette - Naviguer dans l'Antiquité Les Belles Lettres - Signets 2009 / 13 € - 85.15 ffr. / 242 pages ISBN : 978-2-251-03006-7 FORMAT : 11cm x 18cm
L'auteur du compte rendu : Sébastien Dalmon, diplômé de lI.E.P. de Toulouse, est titulaire dune maîtrise en histoire ancienne et dun DEA de Sciences des Religions (EPHE). Ancien élève de lInstitut Régional dAdministration de Bastia et ancien professeur dhistoire-géographie, il est actuellement conservateur à la Bibliothèque Interuniversitaire Cujas à Paris. Il est engagé dans un travail de thèse en histoire sur les cultes et représentations des Nymphes en Grèce ancienne. Imprimer
Après la publication de louvrage de Jean-Nicolas Corvisier, Les Grecs et la mer, dans la collection Realia en 2008, les éditions des Belles Lettres nous offrent un autre titre sur le même sujet, cette fois-ci dans la collection «Signets», dont il constitue le sixième volume. Le principe de cette collection reste le même : il sagit de rassembler différents textes sur un sujet donné, avec une courte notice introductive pour chacun, ainsi quun entretien avec une personnalité, en loccurrence lamiral Yves Goupil, ancien major général de la marine. Cet entretien et le rassemblement des différents textes ont été effectués par Claude Sintes, directeur du Musée Départemental Arles antique, et membre de la mission archéologique française en Libye, où il a été chargé des fouilles sous-marines du port antique dApollonia de Cyrénaïque. Le titre de louvrage, Sur la mer violette, est un hommage à lOdyssée, où létendue marine reçoit ce qualificatif qui paraît fort étonnant à des yeux contemporains. Cest que pour les Anciens Grecs ou Romains, la mer nest ni bleue ni verte, mais violette ou vineuse, surtout par gros temps.
La première partie sintéresse aux départs en mer. Il sagit toujours dun moment angoissant, car le voyage est périlleux, et le marin ne sait jamais sil va revenir vivant de laventure. La terre, «assise sûre à jamais offerte à tous les vivants» (Hésiode, Théogonie, 117) est en effet plus désirable et plus rassurante pour lhomme grec ou romain. Il faut dire que les aléas étaient beaucoup plus nombreux en mer : limites de larchitecture navale, absence dinstruments nautiques, pirates, caprices météorologiques
Tout cela provoquait de nombreux naufrages dont larchéologie sous-marine rend compte aujourdhui. Chez Alciphron, le pêcheur Glaucus évoque ainsi avec son épouse léternel dilemme : le souhait dune vie aisée justifie-t-il le risque pris en mer ? Une façon de minimiser les risques est de naviguer de préférence lété, quand les conditions anticycloniques règnent en Méditerranée. Cest un des conseils que donne Hésiode dans Les Travaux et les jours. Dans les Métamorphoses, Apulée rend compte des fêtes en lhonneur dIsis, déesse protectrice des marins, lors de la reprise de la navigation. Le moment du départ nen donne pas moins lieu, généralement, à des prières et des adieux souvent poignants (ainsi ceux de Céyx et dAlcyone dans les Métamorphoses dOvide), car ceux qui restent ne savent pas sils reverront ceux qui partent.
La deuxième partie traite de la vie en mer. Elle est marquée par le respect de certains usages, voire de superstitions : méfiance envers le chiffre treize, tabou sur la prononciation de certains mots, prières pour la bonne traversée faites en mer et non à quai, prohibition des relations sexuelles en mer (comme lindique Clitophon à la riche veuve Mélitè dans le roman dAchille Tatius)
Les pilotes et marins disposaient néanmoins de solides connaissances nautiques et astronomiques. Les descriptions ditinéraires, appelées périples, existaient déjà mais constituaient des études scientifiques rares. Les cartes marines napparaissent en effet pas avant le Moyen Âge. Sans boussole, sans instructions nautiques autres que celles données par lexpérience, sans tables de calcul, il fallait aux pilotes trouver leur route grâce aux étoiles, aux vents, et à de menus changements dans la couleur des eaux. Dautres textes donnent des éléments techniques sur la navigation, notamment sur la manuvre dun bateau de commerce antique. Les bateaux spécialement aménagés pour les passagers nexistaient guère, on embarquait en effet sur des navires transportant surtout des marchandises, dans un confort plus que rudimentaire, sans horaire de départ ni même darrivée, les aléas en mer rendant impossible toute prévision.
La troisième partie nous donne à lire divers textes traitant de la navigation de commerce, qui se fait plus souvent par cabotage que par les routes directes en haute mer, mais aussi de la navigation de plaisance, qui reste tout de même exceptionnelle, comme la remontée du Cydnus par Cléopâtre, ou les jeunes oisifs fortunés qui tuent le temps en louant les services dun pêcheur et sa barque, pour aller paresseusement de crique en crique, comme on le voit chez Longus. Les maux de mer font lobjet de la quatrième partie. Les pirates représentent ainsi le danger le plus redouté des Anciens. Être pris signifie la ruine, lesclavage ou la mort. Limaginaire peuplait aussi les étendues marines de monstres ou dêtres hybrides comme Scylla ou les Sirènes. En revanche, les Néréides sont des divinités secourables, de même que les Tritons. Mais le thème maritime par excellence, cest celui des tempêtes et naufrages : tempêtes réelles décrites avec une profusion de détails, ou tempêtes allégoriques, symboles de lagitation de lâme et des sentiments. La dernière partie, «Sembarquer pour lau-delà», fait état du cruel destin frappant trop souvent les marins ou leurs passagers. Leurs derniers instants sont toujours pathétiques, parfois horribles. La plus grande angoisse concerne labsence de sépulture pour celui dont le corps disparaît en mer, ce qui condamne son ombre à ne pas pouvoir gagner normalement le royaume des morts. Au reste, le fleuve Styx doit être traversé grâce au batelier Charon.
Le livre comprend, comme pour les autres titres de la collection, de courtes notices sur les auteurs cités, des annexes (sur les unités de longueurs romaines, et sur les dieux des Grecs et des Latins), ainsi quune bibliographie. Il constitue une bonne introduction aux rapports que les Grecs et les Romains entretenaient avec la mer, quil sera utile de compléter avec le récent ouvrage de Jean-Nicolas Corvisier paru en 2008 chez le même éditeur, Les Grecs et la mer.
Sébastien Dalmon ( Mis en ligne le 07/07/2009 ) Imprimer
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