| Guy Louret Les Pieds lourds La Table Ronde 2008 / 19.50 € - 127.73 ffr. / 251 pages ISBN : 978-2-7103-3076-9 FORMAT : 14,5cm x 20,5cm
Date de parution : 25/08/2008. Imprimer
Dans un sud Ouest de la France sans douceur de vivre, guère agréable et généralement glauque, un jeune campagnard attend avec impatience le jour de ses 18 ans. Partir de cette campagne hostile du Lot et Garonne, boueuse, collante, dégénérée et peuplée dindividus miséreux, bouseux et sans avenir, c'est son obsession secrète. Ces vallons parsemés de fermes et de villages semblent hors temps dans la France des années 60 qui se prépare pourtant à une révolution des murs.
Le garçon, fils de paysans, dépeint sa vie quotidienne dans lattente de la majorité libératrice, sans ménagement, crûment. Le monde rural est âpre, rugueux, patriarcal, alcoolique, triste, dépendant des élevages et des saisons. Dans un contexte éducatif violent, où labsence de dialogue est la norme, le jeune adolescent se nourrit des humeurs ambiantes qui dévastent son cur et gavent ses rancoeurs, sa haine de lautre.
Entre les mois dété passés chez les grands-parents paternels où la maltraitance et la perversité rythment les jours, et linstallation imprévue de ses parents dans un village, après lexpropriation de leur exploitation, le jeune narrateur expose ses rêves, ses espoirs mais surtout sa fracture intime qui léloigne de lhumanité. Ces expériences suscitent, en lui, un principe de vie cruel : «Ne sattacher à rien». Et, de lappliquer en ce 14 juillet 1970/71. Un sac à dos pour seul bagage, il quitte le village pour Toulouse.
A défaut de visiter le monde et de découvrir les autres, le jeune homme séveille à ses propres angoisses, ses carences phénoménales quand il s'agit d'avoir confiance en lui et en autrui. Il est contraint de se rendre compte de sa marginalité, de sa violence étouffée, viscérale et destructrice. Toutes ses rencontres, ses voyages, sont analysés à travers le filtre du dégoût de la vie et de son rejet du bonheur. Lamour et les filles lattirent autant quil les fuit. Dans une errance assumée, il rencontre des individus tout aussi délabrés que lui, jusquau jour où il croise Jade, jeune bourgeoise droguée. Elle séprend de lui et lui, malgré sa lutte intérieure, tombe amoureux delle. Le cur assailli démotions nouvelles quil étouffe dans des actes dauto-destruction violents, il est irrémédiablement chamboulé. Il choisit malgré tout la dérive et léloignement, seules armes pour vivre avec ce sentiment inconnu, lamour.
Dans une langue à la fois populaire et poétique, Guy Louret, dans ce premier roman, offre des phrases magnifiques tantôt sensuelles et imagées, tantôt sèches et cyniques, venimeuses ; assurément, une plume qui laisse de petites et cruelles piqûres de plaisir. Car si le style est hypnotique, lhistoire est dure, sèche et dénuée despoir. A travers ce jeune narrateur, lêtre humain semble dune brutalité féroce. Son obstination à saccrocher à la vie alors que la mort est lissue inévitable est presque ridicule et arrogante. Son regard sur lhumanité est râpeux, décapent, quel que soit le milieu socio-culturel dailleurs. La solitude est lunique vaccin pour ne pas succomber à la dangerosité des liens et à lune de ses finalités, la dépendance. Mais, peut-on saffranchir de tout rapport à lautre ? Non, sans détour, cest impossible. Alors, la dualité sempare de lesprit qui lutte pour son indépendance tout en quémandant de lamour et de lattention. Rien de mieux, dans ce conflit avec soi même, que de se réfugier dans le rêve.
Les Pieds lourds est un roman qui parle de la difficulté à être soi et de la lutte acharnée quil faut mener pour se construire et exister hors de son milieu dappartenance. Un premier roman au vitriol et aux fragrances fangeuses et entêtantes.
Frédéric Bargeon ( Mis en ligne le 22/10/2008 ) Imprimer | | |