| Rémi Froger des prises de vue P.O.L 2008 / 15 € - 98.25 ffr. / 102 pages ISBN : 978-2-84682-286-2 FORMAT : 15,5cm x 20,5cm Imprimer
Le premier texte poétique de Rémi Froger publié chez P.O.L., paru en 2003, sintitulait Chutes, essais, trafic. Ce titre pourrait tout aussi bien convenir pour des prises de vue, le second texte de lauteur dans cette maison dédition. En effet, on retrouve une préoccupation et une «manière» poétique similaires : il sagit de travailler à partir du fragment, de la coupure, des bribes, et de faire face à linachèvement et à lincomplétude. Autant de notions et déléments qui sappliquent particulièrement à la problématique cinématographique quaborde cette fois-ci le poète : le plan, limage déviée de son continuum, le bref instant de remémoration dune scène, dune voix, dun visage ou dun paysage qui ont été filmés, et bien sûr le montage, art de la coupe et de la collure. Ce nest pas tomber dans un impressionnisme descriptif que de noter un souci perpétuel du montage, aussi bien au niveau macrostructural (lagencement des quatre parties qui composent le recueil, le passage dun texte à lautre) que microstructural (les retours à la ligne et la présence obsessionnelle des tirets, qui interrompent et relient à la fois).
Rémi Froger compose, avec des prises de vue, un bref texte énigmatique qui ne cesse pas de dérouter le lecteur, par laspect volontairement lacunaire, elliptique et littéral de lexpression et du référent. Il y est sans conteste question de cinéma, de captation et de projection dimages, ainsi que de ce quil en reste, de leur puissance de rémanence, de leur possibilité dapparaître et dêtre reçues. Néanmoins, cela nôte rien au pouvoir profondément déstabilisant du texte. Les effets de brouillage et les non-dits abondent ; le «je», qui apparaît assez souvent est-il ainsi le «je» dun personnage de film, celui dun poète-cinéaste ou bien dun poète-spectateur ? Les mots, ici, tentent de rendre compte de limage et donc, littéralement, de la prendre pour la faire advenir sur la page. Rémi Froger, pour ce faire, nocculte pas laspect technique et la «fabrique» de ces «prises de vue» : il est question de raccords, de découpages, de scénarios, de caméras, de plans, de numérotation de séquences
Le processus est nécessairement hésitant («Je crois quil manque quelques mots. Je narrive pas à suivre le rythme», p.53) ; il rencontre des béances et des résistances : parfois, lacte de préhension se mue en affrontement, vue contre parole. Il sagit dexister dans les mots comme dans le cadre et le champ de la caméra.
La troisième partie du recueil sintitule «légendes des illustrations» : comme il est dit dans la présentation du livre sur le site des éditions P.O.L. : «Des légendes avaient été écrites pour des illustrations, en double. Les illustrations ont disparu. Ne restent que les légendes». Les images cinématographiques se sont effacées, mais les mots cherchent à les rendre, ils se font «légendes», cest-à-dire étymologiquement «ce qui doit être lu», et donc ce qui reste à lire, malgré tout, grâce au fragile pouvoir du langage verbal, après la disparition des vues. Il arrive soudain, au détour dune expression, que lon reconnaisse ce à quoi le texte sest confronté et se confronte : ce peut être, entre autres, LAvventura de Michelangelo Antonioni, ou bien encore Le Mépris de Jean-Luc Godard. Luvre de Rémi Froger soffre à nous dans sa complexité et exhibe précisément sa difficultueuse et fragmentaire élaboration dun rapport intersémiotique entre les mots et les images.
Fabien Gris ( Mis en ligne le 10/07/2009 ) Imprimer | | |