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Richard Millet, le fataliste | | | Ma vie parmi les ombres, un entretien avec Richard Millet
Richard Millet, Ma vie parmi les ombres, Gallimard, La Blanche, 609 pages, ISBN : 2-07-076544-X.
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Richard Millet a consacré de nombreux romans à sa Corrèze natale. Mais que lon ne sy trompe pas. Loin de porter un regard attendri et émerveillé sur ce monde rural, lécrivain nous plonge dans un univers crépusculaire, un monde au seuil de la mort où la terre est aussi rude que ses habitants. Ma vie parmi les ombres est sans doute son roman le plus autobiographique de tous. Entretien.
Parutions.com : Ma vie parmi les ombres sinscrit dans la lignée des romans corréziens
Richard Millet : Oui, cest le sixième roman que jécris sur la Haute Corrèze. Il y a eu dabord La Gloire des Pythre, LAmour des trois surs Piale, Lauve le Pur, plus deux autres romans plus petits, dont lhistoire se déroule pour une part en Corrèze.
Parutions.com : Ce dernier roman nest-il pas le plus autobiographique de tous ?
Richard Millet : Si je vous dis non, je mentirais, mais si je vous dis oui, je mentirais aussi. Jai passé une partie de mon enfance au Liban, à Beyrouth, et non à Siom, comme le personnage principal de Ma vie parmi les ombres. Dieu merci, lécrivain qui raconte son histoire à sa jeune maîtresse nest pas moi. Enfin, ce nest pas tout à fait moi. En fait, tout ce qui a trait aux souvenirs denfance est autobiographique. De même, les trois femmes du roman ont existé, ont compté pour moi. Jai simplement changé leur nom. Lesquisse que je fais du monde contemporain est également très proche de ma propre vision.
Parutions.com : Ma vie parmi les ombres marque-t-il la fin dun cycle dans les romans de la vie corrézienne ?
Richard Millet : Oui, peut-être, mais on ne peut jamais vraiment savoir ce que lon va faire à lavance. En tout cas, il est certain que cest certainement le dernier livre aussi développé, aussi gros sur la Corrèze. Aujourdhui, jai envie daller voir ailleurs, dexplorer dautres horizons. Jai envie de faire quelque chose sur le Liban, par exemple.
Parutions.com : Dans Ma vie parmi les ombres, un mot revient souvent sous votre plume, cest le terme de «répugnance»...
Richard Millet : Ah bon ?! Et bien, je crois que je suis très sensible à tout ce qui mentoure. Je ressens toujours très violemment ce qui me plaît et ce qui ne me plaît pas. Le monde des odeurs, par exemple. Je ne sais pas comment lexpliquer. Je vis presque autant dans un monde dodeurs que dans un monde dimages. Dans le métro par exemple, toutes les sensations sont exacerbées. Mais il y a le corollaire de tout cela. Je peux être totalement fasciné par les bonnes odeurs. Je peux me mettre tout prêt dune femme dans le métro uniquement parce que jaime son parfum, son odeur.
Parutions.com : De même, de nombreux thèmes jalonnent vos récits et reviennent de façon presque obsessionnelle. Je pense notamment à limage de lenfermement, de la stérilité
Richard Millet : Tous les écrivains sont obsessionnels, non ? Je pense que lon nécrirait pas si lon navait pas des obsessions à assouvir.
Parutions.com : Vous êtes né au Liban, vous vivez aujourdhui en région parisienne, vous avez été au contact de larabe, du français et du patois. Au regard dun tel parcours, pourquoi revenir ainsi sans cesse sur la Corrèze ?
Richard Millet : Je ne crois pas que lon naisse quelque part sans que cela nous marque profondément. Le monde dont je parle dans mes romans est complètement mort. Cest un temps et une époque révolus. Cela me hante. Il ny a pas longtemps, je suis allé là-bas avec une amie qui réalise un film sur moi. Nous avons écouté le silence durant deux heures. Mais quand je dis le silence, ça veut dire que lon nentendait rien, mais vraiment rien. Pas un oiseau, pas une voiture, pas un chien qui aboyait, rien. Vous savez, lorsque le silence est très fort, vous lentendez presque bruire à vos oreilles. Cest très bizarre. Donc à ce moment-là, je me suis dit que ce pays était mort, quil puait la mort. Je nai plus envie dy retourner. Par contre, il subsiste dans mon souvenir les gens que jai connus, qui mont fasciné et qui mont aidé aussi à être ce que je suis aujourdhui. Jai ressenti lenvie de faire quelque chose avec eux.
Parutions.com : Et particulièrement avec les figures féminines ?
Richard Millet : Oui, bien sûr. Elles me fascinent ! À vrai dire, les hommes ne mintéressent pas vraiment. Cela vient peut-être du fait que jai été élevé par des femmes. Il y avait beaucoup de veuves de guerre. Elles mont vraiment transmis quelque chose. Il ny a pas très longtemps, on ma dit que jétais quelquun de très féminin. Je crois que cest vrai. Jaime me mettre à la place des femmes. Cela mintéresse beaucoup.
Parutions.com : Vous prêtez également à la langue des attributs très féminins
Richard Millet : Oui cest vrai. Elle enveloppe
La langue est véritablement féminine. Ne parle-t-on pas de langue maternelle ? Jai vécu dans un monde de femmes, dans un véritable gynécée dans lequel les hommes navaient finalement que peu de mots à dire. Il y avait le chien, les vaches et après lhomme.
Parutions.com : Ma vie parmi les ombres est une longue conversation entre deux amants, qui sont tous deux corréziens. Or, ils ont une grande différence dâge. Était-ce pour vous une façon de mettre en lumière le fossé qui existe entre le monde contemporain et ce temps révolu que tente de raconter le narrateur ?
Richard Millet : Il est vrai que le personnage de Marina est très jeune, mais je ne lai pas décidé. Cest en partie ma propre expérience que je raconte ici. Toutefois, il vrai que cela mintéressait de travailler sur cette idée de transmission. Ce personnage de vingt-trois ans, bien que né au même endroit que moi, na pas connu le monde que je dépeins. Cest cela qui me fascine et qui mobsède aussi : voir quen vingt-cinq ans, tout a changé. Quelque chose sest effondré dans les années soixante-dix. Arrivé à lâge que jai, presque à la fin de ma vie, on éprouve toujours le besoin de se retourner derrière soi. Cest une manière dessayer de comprendre ce que lon est devenu.
Parutions.com : Il ny a pas de nostalgie lorsque vous évoquez ce monde ?
Richard Millet : Non, à aucun moment. Je regrette seulement les gens que jai connus, que jai aimés, mais cest tout.
Parutions.com : Le monde que vous dépeignez est très sombre...
Richard Millet : Oui, cest vrai. Cest dailleurs quelque chose que lon me reproche beaucoup en Corrèze. Les gens pensent que jai tendance à noircir le tableau. Alors quen fait je ne noircis rien. Ce sont eux qui ont une vision édulcorée de cette époque.
Parutions.com : Il ny a pas démerveillement, pas dattendrissement.
Richard Millet : Écoutez, quand même, quand je parle des seins de Marina !
Parutions.com : Oui, mais elle est complètement contemporaine
Richard Millet : Et bien oui ! Mais contrairement aux apparences, cest le présent qui mintéresse ! Quest-ce qui peut émerveiller un homme de mon âge ? Les femmes, bien sûr !
Parutions.com : Pour vous, quel est le rôle de lécrivain ? Est-ce celui de transmettre une mémoire ?
Richard Millet : Pour ce livre-là, cest celui de faire revivre des personnes ou des époques révolues.
Parutions.com : Le sujet oriente votre style ?
Richard Millet : Oui. Avant décrire sur la Corrèze, mes phrases étaient extrêmement courtes. Elles se sont allongées tout naturellement lorsque jai commencé à écrire La Gloire des Pythre.
Parutions.com : Ma vie parmi les ombres semble plus méditatif que les autres romans que vous avez consacrés à la Corrèze.
Richard Millet : Je pense que Ma vie parmi les ombres est plus quun roman. Il y a aussi une réflexion sur le roman. Jai mis deux ans à écrire ce livre, jai donc passé deux ans avec ces morts. Jai donné beaucoup de moi dans ce récit. Lorsque je lai terminé, cela a été difficile pour moi. Javais perdu tous mes repères. Terminer un livre est une période quil faut savoir négocier. Il faut sortir et se remettre à louvrage.
Parutions.com : Ce que vous faites ?
Richard Millet : Oui, cest ce que je fais. Je travaille en ce moment sur un livre sur la musique. Cest une sorte dautobiographie, mais qui se dévoile uniquement à travers la musique. Jévoque ma vie par le biais de souvenirs musicaux précis. Depuis Beyrouth jusquà aujourdhui.
Propos recueillis par Claire Striffling le 13 octobre 2003 (Photo : Gallimard) ( Mis en ligne le 12/11/2003 ) Imprimer
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