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Un essai d’historiographie sans précédent : trois générations d’historiens penchées sur la Grande Guerre
Antoine Prost   Jay Winter   Penser la Grande Guerre - Un essai d'historiographie
Seuil - Points histoire 2004 /  9.50 € - 62.23 ffr. / 340 pages
ISBN : 2-02-054039-8
FORMAT : 11x18 cm

L'auteur du compte rendu : Éric Alary, agrégé d’histoire, docteur ès Lettres de l’IEP de Paris (sa thèse sur la ligne de démarcation a été publiée en 2003 chez Perrin), est professeur en Lettres Supérieures et en Première Supérieure au lycée Camille Guérin de Poitiers.
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La Première Guerre mondiale a fasciné des centaines d’historiens du monde entier et a conduit à la publication de milliers d’ouvrages – plus de 50 000 titres inventoriés à la Bibliothèque de documentation internationale contemporaine de Nanterre. Tous ont tenté de saisir une partie de cette guerre totale et singulière, une partie de l’horreur au fond des tranchées, une partie des décisions des états-majors, sans oublier la mémoire et la commémoration de ce qui fut une hécatombe humaine à l’entrée du siècle dernier.

Il y a encore des sujets à traiter par les historiens, avec de nouvelles questions. Toutefois, personne n’avait encore tenté un essai historiographique sur cette guerre «monstrueuse». Le vide est comblé grâce à Antoine Prost et au professeur américain de l’Université de Yale, Jay Winter. On connaît l’œuvre très importante d'Antoine Prost, notamment sa thèse sur les anciens combattants, mais aussi ses travaux sur l’histoire de l’éducation, sans oublier les remarquables Douze leçons sur l’histoire, publiées en 1996. Jay Winter a travaillé sur les Britanniques dans la Grande Guerre et sur la mémoire de celle-ci, entre autres.

Les deux auteurs se livrent à une démonstration de synthèse très difficile a priori sans prétendre avoir tout lu et exploré de ce qui fut écrit depuis les premiers mois de la guerre jusqu’à 2003. C’est une leçon de modestie qui rend encore plus beau et passionnant le «métier» de l’historien. L’analyse est en effet remarquable sur de nombreux points d’autant que les historiens ne sont pas les seuls requis ; les auteurs ont recours aux autres disciplines qui ont scruté la guerre de 1914-1918, des sociologues jusqu’aux spécialistes de littérature. L’historien ne peut pas approcher à lui seul toutes les parcelles de vérité. Il ne faut pas oublier les contextes dans lesquels ils ont rédigé leurs travaux sur la Grande Guerre : les écrire dans les années trente ne revêt pas la même signification que de le faire après la Seconde Guerre mondiale, par exemple. Par ailleurs, les deux grands historiens ne se limitent pas à la seule histoire militaire, diplomatique et politique. Ils convoquent les travaux des spécialistes en histoire sociale, économique et culturelle. Enfin, l’observation historiographique minutieuse offre de regarder les ouvrages anglais, américains, allemands et italiens, ce plus ponctuellement.

Aucune forme d’histoire ne domine vraiment, selon Jay Winter et Antoine Prost ; toutes les composantes de l’Histoire sont indispensables. Les huit chapitres du livre sont des études sectorielles du «pensé» de l’histoire de la Première Guerre mondiale, de l’histoire diplomatique jusqu’à la mémoire, en passant par l’histoire des soldats au front, l’histoire des ouvriers et l’histoire de l’arrière.
Le nombre des sujets abordés est d’une densité incroyable et on ne peut être qu’admiratif devant cette capacité à décomposer et à réordonner les pièces parfois mélangées d’un puzzle intellectuel sur la Grande Guerre. Les débats ont d’abord porté après la guerre sur la question des causes; la querelle des responsabilités fut intense. Les lectures de la Grande Guerre varient en fonction des points d’observation qui, actuellement, privilégient l’histoire culturelle à laquelle cet ouvrage appartient désormais. Juste après la guerre, l’histoire est également héroïque, autour de la défense de la nation et de l’Union sacrée, face à un ennemi qui, selon les Français de l’époque, a attaqué injustement. Il faut dire qu’en 1919, le pays est à reconstruire (un dixième du territoire) et traumatisé. Rappelons seulement que la saignée se mesure avec des chiffres gigantesques : 1,5 millions de soldats tués en âge de procréer, 630 000 veuves et des centaines de milliers d’orphelins. Les anciens combattants aiment à relire les histoires de leur guerre qu’ils pensent être les seuls à pouvoir comprendre.

A cette histoire a succédé une histoire du commandement, puis une histoire militaire. L’histoire par en bas est également visitée avec des essais pour comprendre le quotidien des tranchées. Une question frappe toujours les historiens et les citoyens en général : «pourquoi les combattants ont-ils tenu ?» La même question est posée pour les civils. Les sources mises à la disposition des historiens apportent des réponses bien différentes en fonction des questions posées et des contextes d’écriture. La guerre économique fut aussi au cœur des préoccupations historiennes depuis les années 1920. L’histoire politique a dominé de 1919 à 1965, puis elle fut renforcée par l’histoire sociale jusqu’au début des années 2000.
La Grande Guerre fut une guerre de masse dans laquelle les sociétés ont connu une violence inouïe. L’histoire des conditions de vie et la culture matérielle sont embrassées avec brio, avec un tournant historiographique «affectif» lié à une reconfiguration propre aux années 1980-1990, notamment avec le passage d’une histoire intellectuelle à une histoire du sentiment national.

Les deux auteurs n’oublient pas, entre autres sujets historiographiques, de regarder du côté des films, des musées et des romans, en montrant la dissémination des représentations de la guerre dans les deux dernières décennies du XXe siècle, ce qui a répondu à une demande d’histoire extérieure aux milieux universitaires. Il est vrai que l’intérêt pour la Grande Guerre va crescendo. L’Imperial War Museum de Londres est pris pour exemple d’une attraction touristique majeure. En Australie, le même phénomène se retrouve ; en France, le public a rencontré la Guerre grâce à des expositions temporaires, mais aussi et surtout grâce à l’ouverture en 1992 de l’Historial de la Grande Guerre de Péronne. La guerre vue des deux côtés y est représentée.

Au total, trois générations d’historiens se sont échinées à donner des orientations à la recherche et à la réflexion d’un événement sans précédent, avec une question lancinante : Comment penser la Grande Guerre ? La réponse est impossible tant les façons de penser la guerre sont diversifiées et riches. Les deux auteurs ne veulent pas donner de réponse normative, ce qui serait contraire à tout dessein historiographique. Antoine Prost et Jay Winter, qui ont passé des centaines de travaux au crible, offrent donc de nous faire comprendre les logiques qui ont permis de construire une recherche en histoire de la guerre 1914-1918. Les auteurs livrent in fine les exigences de tout historien qui est «de mettre de l’ordre dans le désordre du monde, à tout le moins en expliquant les raisons.» Le sujet n’est donc pas encore épuisé, mais la voie ouverte par les deux spécialistes est indispensable pour bien réfléchir et chercher avec rigueur dans les sources de ce qui devait être «la der des der.»

L’ouvrage est évidemment complété par une bibliographie très fournie – mais forcément sélective - des ouvrages sur la Grande Guerre, publiés entre 1914 et 2003. L’ensemble est complété par un index thématique et par un index des auteurs et des noms de personnes.


Eric Alary
( Mis en ligne le 29/03/2004 )
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