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Le bonheur est dans la révolution | | | Bernard Cottret La Révolution américaine - La quête du bonheur 1763-1787 Perrin - Tempus 2004 / 10.50 € - 68.78 ffr. / 525 pages ISBN : 2-262-02242-9 FORMAT : 11x18 cm
L'auteur du compte rendu: Gilles Ferragu est maître de conférences à luniversité Paris X Nanterre et à lIEP de Paris. Imprimer
Ce livre est la réédition, en format de poche, de louvrage publié par B. Cottret, professeur à luniversité de Versailles St Quentin, aux éditions Perrin en 2003. Si cette réédition peut être justifiée par les impératifs des concours de lenseignement, il faut toutefois ne pas se limiter à ce seul horizon. La révolution américaine est mal connue en France, où elle risque de faire de lombre à la grande, la seule révolution moderne, celle de 1789 (et sans même parler de la Glorious revolution anglaise de 1689 !). Pourtant, il sagit à la fois dune matrice et dune inspiration quil est bon danalyser et de questionner. Cest lobjet de cet ouvrage dont le sous-titre, «La quête du bonheur - 1763-1787», éclaire la thèse.
Dans une introduction au titre programmatique, «Et Dieu créa lAmérique», B. Cottret, entend revenir aux sources du mythe américain, c'est-à-dire les mythes fondateurs dune nation qui croit en sa «destinée manifeste» comme en un nouvel Eden. Au cur de cette conception, on trouve une révolution singulière, presque inattendue, qui voit naître une nation et un régime politique neuf, inédit une république et une démocratie -, qui prône le «droit au bonheur» (dans la Déclaration dIndépendance de 1776), lequel ne sera que plus tard «une idée neuve en Europe» (Saint-Just). A louest, il y a manifestement du nouveau ! Ce droit au bonheur, placé sous une invocation à Dieu, inscrit - dans une logique de construction étatique - la place centrale de la Providence dans la fondation des États-unis (et lon sait limportance du religieux dans lAmérique ancienne et actuelle). Lattention des Européens est dès lors attirée par cette nation qui semble mettre en actes la philosophie des Lumières et celle de Locke. Au jeu des influences et des ressemblances, les révolutions anglo-saxonnes et française sont surs.
A lorigine du mouvement qui va voir le rassemblement des 13 colonies dAmérique en une seule entité, se trouve une guerre anglo-française, version maritime de la guerre de sept ans. Le traité de Paris, en 1763, qui conclut cette guerre sur une défaite française, renforce la prééminence anglaise sur le continent nord américain ; mais cest une victoire à la Pyrrhus, car les finances anglaises sont exsangues. Il sagit pour la couronne de trouver des subsides et la solution la plus simple simpose : taxer les colonies américaines. La mécanique est enclenchée, qui pousse les colonies à contester la souveraineté et larbitraire de la métropole (au nom du principe «no taxation without representation»), puis à sunir pour plus defficacité face à un Etat anglais autiste, qui ne mesure pas lampleur des représentations venues des colonies. Au-delà de la mascarade de la Boston Tea Party, le climat des idées des Lumières et du Common sense (T. Paine, 1776) exacerbe les ambitions et précise les attentes. Ce qui nétait à lorigine quune revendication de sujets anglais est devenue une révolte. Lannée 1774 aura vu naître les Américains.
Un premier congrès rassemble à Philadelphie les représentants des colonies révoltées (à lexception de la Géorgie), congrès préparatoire où les représentants songent déjà à lindépendance tout en cherchant encore un compromis. Mais la guerre démarre réellement avec laffaire de Lexington et de Concord, affrontements rudes aux airs de bataille, que les insurgés présentent comme une agression anglaise. Un second congrès souvre donc, en 1775, à Philadelphie, congrès fondateur, car il transforme les 13 colonies en une nation souveraine. La guerre nouvelle qui sensuit présente à la fois des aspects révolutionnaires («le peuple en arme») et traditionnels (dans la conduite des opérations). Cette révolution sinscrit également par lécrit : la Déclaration dIndépendance de 1776 marque une rupture complète avec ce que lon peut appeler lancien régime. La révolution politique est en marche.
Dans les faits, la guerre et la guérilla - sorganise, dabord entre colons révoltés menés par quelques notabilités (dont un ancien officier du nom de Washington) et le souverain offensé, dans une partie complexe qui intègre le Canada, fidèle. Mais Versailles, à la recherche dune revanche, saisit loccasion dune alliance : Rochambeau, avec un certain La Fayette dans ses fontes, est envoyé collaborer, à la tête dun corps expéditionnaire, à luvre philosophique de libération dune nation. De Saratoga à Yorktown, les colons se transforment en américains, et les volontaires quasi guérilleros - en une armée nationale.
On pourrait plagier le Risorgimento italien et dire que lAmérique étant faite, il reste à faire les Américains ! Dans une troisième partie, B. Cottret sintéresse donc à ce processus culturel et politique qui va singulariser lexpérience américaine sur le plan politique : les prémices et la préparation de la constitution de 1787, de la convention dAnnapolis à celle de Philadelphie. En suivant les débats et les interventions, il expose les diverses questions abordées : celle des modèles (antiques, primitifs), celle du rapport neuf entre république et démocratie (un équilibre, ainsi quune hybridation entre deux notions complexes, au sens renouvelé par cet usage américain) et le rôle du fédéralisme. Mais il en marque également les limites : la persistance de lesclavage dans un silence quasi approbateur (en attendant le compromis du Missouri, qui trahit les limites de lidéalisme des pères fondateurs), les rapports avec les institutions anglaises (rupture ou filiation ?)
Bref, il démythifie et pousse le modèle américain dans ses retranchements.
Louvrage est ample, et doté dun appareil de notes important : en partant du traité de Paris de 1763 pour aller jusquà la constitution de 1787 (207 ans dexistence !), il couvre une tranche essentielle de la naissance de lAmérique (en tant quEtat, mais aussi en tant que nation et que modèle politique, et mythe fondateur). Assorti dannexes utiles (la déclaration de 1776, la constitution de 1787, les 10 premiers amendements, la bibliographie, lindex) et même indispensables (le bilan historiographique de la question, court mais efficace), cet ouvrage important est - bien plus quune bonne synthèse sur la Révolution américaine - une étude de référence qui laisse le lecteur français sur une impression dexhaustivité et la satisfaction dune question pleinement maîtrisée.
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 24/11/2004 ) Imprimer
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