Jacques Duquesne Pour comprendre la guerre d'Algérie Perrin - Tempus 2003 / 7.50 € - 49.13 ffr. / 311 pages ISBN : 2-262-02078-7 FORMAT : 11x18 cm
L'auteur du compte rendu : Agrégée dhistoire, Claire Blandin a soutenu, en 2002, une thèse de doctorat sur Le Figaro littéraire (1946-1971) à lIEP de Paris. Elle enseigne lhistoire des médias dans le Département de communication politique de lUniversité Paris XII. Imprimer
Cest un livre à la fois personnel et érudit qua proposé en 2001 Jacques Duquesne, et qui vient dêtre réédité en format de poche. Erudit pour fonder la démarche pédagogique quil sest fixé : permettre au lecteur de mieux saisir les enjeux de la guerre dAlgérie. Personnel, par lintrospection que suscite le retour du débat sur la torture. A travers ce double prisme, lauteur sattache à tracer un portrait complet des différents acteurs, dans la complexité de leur passé commun.
La nouvelle actualité de la question de la torture en Algérie, à la fin de lannée 2001, incite Jacques Duquesne à revenir sur un pan de lhistoire nationale dont il a été, jeune journaliste, acteur. Sil ouvre donc son ouvrage par cette question centrale de la torture, cest pour insister sur la tradition de violence existant en Algérie depuis la conquête, la permanence des soulèvements villageois et la rupture de la Première Guerre mondiale, après laquelle les colons délaissent les campagnes. Il peint une société algérienne intrinsèquement violente et divisée. Soulignant que le droit de vote était, pour les musulmans, très limité dans les faits, et que les naturalisations étaient peu nombreuses, lauteur soppose à lidée répandue que la «porte de la francisation» avait été ouverte.
Cest le massacre de Philippeville, en août 1955, qui marque pour lui le début sanglant dune guerre fondée sur le terrorisme, générant la surenchère et creusant le fossé entre les communautés. A Alger, la dévolution des pouvoirs de police aux militaires, en janvier 1957, permet «linstitutionnalisation» de lusage de la torture. Hors dAlger, lauteur ne cède pas au mythe de la généralisation des actes de torture, mais montre leur banalisation.
De part et dautres, Jacques Duquesne sarrête aussi sur les initiatives en direction de la population : ampleur de lappareil judiciaire créé par le FLN, renouvellement des infrastructures et scolarisation par les militaires français. Mais cest surtout la distance entre les points de vue des acteurs que louvrage permet de mesurer. Il revient sur le rôle des «chers professeurs», en montrant la diversité du paysage intellectuel français de lépoque. Les Français de métropole, dans leur ensemble, nont pas pris conscience de lévolution des mentalités dans les colonies : sans contester la nécessité de la guerre, ils souhaitent ardemment le retour de la paix et apportent leur soutien à De Gaulle. Larmée a subi les humiliations de 1940 et 1954 : lAlgérie lui apparaît dans un premier temps comme loccasion de renouer avec la nation et de pratiquer une large modernisation. Divisés entre notables et petit peuple, les pieds-noirs ne se défont pas dune mentalité dassiégés et de la peur qui nourrit le racisme. Jacques Duquesne suit ces communautés pendant et, dans les derniers chapitres, après la guerre dAlgérie. Il montre ainsi labandon des harkis, la misère de nombreux pieds-noirs, et tente dexpliquer le silence des militaires français de retour chez eux.
Tout au long de louvrage, Jacques Duquesne, auteur, examine le comportement du jeune journaliste quil était, ses réactions, ses écrits. Il se décerne un global satisfecit, pour sa pugnacité, mais regrette davoir quitté lAlgérie trop tôt, avant les règlements de compte de lautomne 1962 : «Cest le grand remords de ma vie professionnelle». Le courrier quil reçoit, en 2001, sur la question de la torture, le conduit à remettre son ouvrage sur le métier. Il soppose à la fois à ceux qui tentent de minimiser la torture et à ceux qui la justifient par son efficacité. En montrant que la torture est devenue routine, il explique que, si la victoire militaire de la France fut relative, sa défaite politique fut absolue. Car le point central de louvrage est bien laprès guerre dAlgérie : la perte de crédibilité des politiques, niant la torture dont les appelés sont par ailleurs témoins, est-elle une des origines de la «crise actuelle du civisme et de la morale» ?
Parce que lauteur se confronte à limportante bibliographie sur le sujet, (des ouvrages anciens de Charles-André Julien au travail récent de Sylvie Thénaud), parce quil reproduit de nombreux témoignages et textes essentiels (dans le texte et en annexe), et ne perd pas de vue sa ligne de conduite pédagogique, on peut se féliciter que cet ouvrage utile soit désormais disponible au format de poche. Il permet à la collection «Tempus» de montrer, une fois encore, son dynamisme, dans ce secteur de la production historique.
Claire Blandin ( Mis en ligne le 20/10/2003 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:Dossier : GUERRE D'ALGÉRIE |