|
Littérature -> Biographies, Mémoires & Correspondances |
| Franz Kafka Cahiers In-Octavo (1916-1918) Rivages - Bibliothèque Rivages 2009 / 20 € - 131 ffr. / 237 pages ISBN : 978-2-7436-1995-4 FORMAT : 12cm x 19,5cm
L'auteur du compte rendu: Ancien élève de lÉcole Normale Supérieure Lettres et Sciences Humaines de Lyon, agrégé de Lettres Modernes, Fabien Gris est actuellement moniteur à lUniversité de Saint Etienne. Il prépare une thèse, sous la direction de Jean-Bernard Vray, sur limaginaire cinématographique dans le roman français contemporain. Imprimer
Ce sont huit cahiers : Franz Kafka, après labandon de son journal en 1916, y a consigné détranges petits textes, pendant une année et demi ; voici donc le contenu de ces cahiers publié aujourdhui : il sagit indifféremment de récits de rêve, de saynètes, daphorismes, dembryons narratifs divers, de bribes de phrases. Ce qui frappe demblée, cest évidemment la dimension «kafkaïenne» de cette succession de textes, au sens même que cet adjectif a pris en rentrant dans notre vocabulaire courant (quelle meilleure preuve de limportance dun auteur que leffet dantonomase dont il est lorigine !). En effet, même lorsque lon na que quelques idées générales sur le grand écrivain tchèque, il est fort à parier quelles se retrouvent incarnées dans ces «in-octavo» : atmosphère oppressante, crises de désespoir et de mélancolie, tonalité fantastique sombre, descriptions implacables de relations de pouvoir et de hiérarchie, obsession pour la bureaucratie considérée comme le lieu daliénation par excellence
Du Kafka pur jus, en somme, grinçant, déstabilisant, notamment lorsque ces sombres tableaux vont de pair avec une recherche désespérée de tendresse, dapaisement et de joie. Néanmoins, les principes radicaux sur lesquels se fonde cette nouvelle édition (donner les textes dans leur ordre originel, sans coupures, sans censures, mais aussi sans notes) ne font quaccentuer la dimension fragmentaire de lensemble. Si les romans de Kafka, inachevés, nous ont habitués à une poétique déconstruite et chaotique, les textes de ces Cahiers exhibent bien plus frontalement, de par leur nature même, leur inachèvement. Certains textes sont coupés abruptement (parfois au milieu même dune phrase), dautres semblent entrer en dialogue avec ceux qui les précèdent ou ceux qui les suivent, sans que le lecteur en soit véritablement sûr.
Cest peut-être la limite de cette publication : une telle série de textes, si troublante et si déstabilisante (y compris par rapport à nos expériences traditionnelles de lecture de journaux ou carnets décrivains), aurait sûrement mérité un appareil critique plus fourni, notamment par le biais de notes. Lintéressante et pertinente présentation de Pierre Deshusses ne suffit sans doute pas, pour quelquun qui ne serait pas un familier ou un fin connaisseur de luvre, à maintenir lattention. Le paradoxe est là : ni véritable édition critique, ni édition de vulgarisation pour non avertis, ces Cahiers in-octavo sont difficilement accessibles à un public large, et ne risquent dintéresser que les plus «kafkanophiles» dentre nous, ceux qui trouveront dans tel récit, voire dans tel fragment phrastique, les grands livres à venir. Les autres resteront interdits devant la plupart des (bouts de) textes, même si, çà et là, telle ou telle fulgurance aphoristique, magnifique dintelligence («Rien ne me tient», p.138 ; «Ne pas sébrouer mais se consumer pour se débarrasser de soi», p.203) comme de simplicité littérale («Ce que je touche, se casse», p.139 ; «Clarté du matin», p.221) les bouleverseront considérablement. Demeurent donc, au-delà de lensemble difficile à lire en continuité, les éclats déchirants dun auteur tourmenté qui cherche sa foi en lart, pour échapper à «lexiguïté» (p.213) de la société.
Fabien Gris ( Mis en ligne le 19/10/2009 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:Lettres à Max Brod de Franz Kafka | | |
|
|
|
|