|
Littérature -> Récits |
| |
Ébauches, esquisses, portraits | | | Jean-Marie Rouart Ne pars pas avant moi Gallimard - Folio 2016 / 7.10 € - 46.51 ffr. / 265 pages ISBN : 978-2-07-046816-4 FORMAT : 10,8 cm × 17,8 cm Imprimer
On ne présente plus Jean-Marie Rouart, académicien sympathique né en 1943. Des essais, dont le dernier Ces amis qui enchantent la vie : passions littéraires, des romans, Avant-guerre, prix Renaudot 1983, des pamphlets, Omar la construction dun coupable, et des récits, La Guerre amoureuse, composent une uvre riche, souvent passionnante, jamais décevante, parfois énervante. Rouart est le type même de lacadémicien des années 2000 qui sinscrit dans une certaines filiation littéraire. Entre réaction et modernité, parisianisme et éclectisme, digne descendant de ses pères littéraires, portant une cause à défendre et une uvre prolifique.
Ce nouveau livre de mémoires ne déroge pas à la règle. Si lauteur prend des libertés circonstanciées avec la forme le livre est composé de petits paragraphes évoquant des souvenirs plus ou moins épars avec comme leitmotiv la jeunesse du lycéen qui peine à décrocher son bac et à conserver son premier amour , il nen demeure pas moins fidèle au genre en évoquant sa jeunesse parisienne dorée (quil considère comme un ratage).
Que l'on aimerait rater sa jeunesse comme il la dépeint ! Même si sa condition sociale nest pas celle du noble rentier, il croise les chemins de dOrmesson, Jean Guitton, de Beaumont, puis plus tard ceux de Nourissier, Vergès ou Giesbert dont il nous dresse des portraits très inspirés. Le tout en tentant de séduire les petites bourgeoises du 7ème arrondissement, qui lui font la vie dure. Surtout Solange, celle quil dénigre plus ou moins au début de son amourette puis qui lui fait subir les pires humiliations en le trompant à tout va.
Chaque historiette se lit avec grand plaisir car Rouart utilise son style à la fois simple et ample, direct et élégant, pour évoquer des souvenirs vieux de 50 ans, quil nous fait revivre avec âpreté. Ses descriptions sont imagées, sans débordement ; ses visions sont celles dun expert littéraire et ses analyses collent bien à sa préciosité académique. Homme lettré et écrivain raffiné, on accompagne ce parasite mondain dans ses circonvolutions amoureuses et littéraires avec beaucoup dattention. Chaque portrait est subtil, chaque esquisse renvoie à un passé encore vivant et chaque ébauche nous fait attendre la suivante. La guerre littéraire (celle de la reconnaissance éditoriale) côtoie la guerre amoureuse (Rouart aime les femmes et le dit avec sincérité, sans vulgarité, avec passion). Il est vrai que lécrivain est, par définition, celui qui, déçu par les femmes, les connaît en fin de compte très bien. Il parle de ratage donc. 50 ans après, le bac ne se rate plus mais la reconnaissance est bien plus rude à gagner ! Rouart est donc un contre-exemple actuel. Peu importe, lécriture permet de raviver des souvenirs enfouis.
A lheure des autofictions où le contenu frôle la pornographie assumée et des romans autobiographiques qui règlent leur compte avec les psychanalystes à la mode, Ne pars pas avant moi ajoute de la fraîcheur et de la légèreté (intelligente) dans un monde qui sessouffle littérairement. Rouart a un style dacadémicien au rictus assumé, polisson institutionnalisé. A 70 ans, il revient sur ce qui fait le souffle de la jeunesse parisienne (ici des années 50) : la fascination pour les écrivains et la quête obsessionnelle (mais joyeuse même si elle mène à la souffrance de la solitude) de la jeune femme aimée.
On aime, on en redemande.
Jean-Laurent Glémin ( Mis en ligne le 11/03/2016 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:La Guerre amoureuse de Jean-Marie Rouart Devoir d’insolence de Jean-Marie Rouart Adieu à la France qui s'en va de Jean-Marie Rouart | | |
|
|
|
|