Natalie Petiteau collectif - Territoires, pouvoirs, identités Boutique de l'histoire 2003 / 18 € - 117.9 ffr. / 302 pages ISBN : 2-910828-27-1 FORMAT : 14x22 cm
L'auteur du compte rendu: maître de conférences en Histoire contemporaine à l'université de Paris-I, Sylvain Venayre a récemment publié La Gloire de l'aventure. Genèse d'une mystique moderne.
1850-1940 (Aubier, 2002).
Natalie Petiteau collabore à Parutions.com. Imprimer
Lhistoire du Premier Empire est en plein renouveau. Restée en marge de lhistoire universitaire, à lexception des travaux de Jean Tulard, elle a pendant longtemps surtout intéressé les auteurs de biographies pour le grand public : on se souvient des ouvrages dAndré Castelot et dAlain Decaux, pour ne citer que les plus fameux. Les héros de lEmpire, et principalement lEmpereur lui-même, ont ainsi fourni la matière de nombreux livres très éloignés, dans leurs préoccupations, des méthodes et des problématiques renouvelées depuis plus de trente ans par les historiens professionnels.
Quelque chose a changé. En 1999, Natalie Petiteau publiait un Napoléon. De la mythologie à lhistoire (Seuil), qui présentait un bilan historiographique très complet de la légende napoléonienne depuis le début du XIXe siècle et qui était tout autant un examen critique de la littérature publiée sur cette question quun indispensable prélude au lancement de travaux scientifiques sérieux. Lannée précédente, en 1998, Annie Jourdan avait publié un remarquable Napoléon. Héros, imperator, mécène (Aubier), qui examinait la figure de lEmpereur, telle que Napoléon lui-même avait entendue quelle fût sculptée. Les deux livres annonçaient, dans des genres très différents, un intérêt nouveau de la recherche universitaire pour le premier Empire. La réorientation des travaux de Jacques-Olivier Boudon, parti de létude du Second Empire religieux pour aller vers celle des années 1800-1815 (voir Napoléon et les cultes. Les religions à laube du XIXe siècle, Fayard, 2002), et successeur de Jean Tulard à lUniversité de Paris-IV, confirmait encore ce sentiment.
Cest dans le cadre de ce changement que sest inscrit le colloque tenu les 9 et 10 mai 2000 à lUniversité dAvignon sous la houlette de Natalie Petiteau, dont ce livre constitue le compte-rendu des communications. Les seize auteurs de louvrage, presque tous universitaires, entendent en effet proposer des «voies nouvelles pour lhistoire du Premier Empire» et, de façon didactique, présentent trois pistes différentes pour suivre ces voies.
La première, qui réjouira les nombreux partisans de lhistoire comparative et de louverture de lhistoire de France sur lhistoire européenne, entend explorer limage de lEmpire en Europe et la manière dont, sous les coups de boutoir des armées françaises, sest accéléré ce processus de «construction des identités nationales» dont Anne-Marie Thiesse a proposé récemment une analyse synthétique (Seuil, 1999).
La seconde concerne la spécificité du pouvoir napoléonien. Elle peut sembler moins novatrice, si lon songe aux réflexions déjà anciennes de Michel Foucault sur le changement de la nature du pouvoir au début du XIXe siècle. Mais les pistes proposées ici soulèvent de nouvelles questions, soit problématiques (lEmpire comme tentative de rétablissement dune monarchie chrétienne), soit méthodologiques (les sources utilisables pour étudier la police napoléonienne, lhistoire du cadastre comme élément fondamental pour comprendre le processus de conquête de lEmpire, etc.).
La troisième piste de recherche regroupe les identités sociales nées de lEmpire, sans sen tenir à la seule noblesse dEmpire qui a déjà fait lobjet dune grande enquête dhistoire sociale lancée dans les années 1970. Les avatars de la noblesse dAncien Régime, ceux du monde rural sont entre autres successivement exposés. Les auteurs soulignent dailleurs les fortunes diverses de ces groupes dans lhistoriographie : si la noblesse a été bien étudiée (Claude-Isabelle Brelot avait dailleurs commencé ses recherches sur la noblesse par létude de la période impériale), on ne saurait en dire autant des paysans, largement majoritaires dans la population, mais pour lesquels Jean-Luc Mayaud parle joliment de «friche historiographique».
Sil est impossible évidemment de résumer chacune des communications de ce colloque, on pourra néanmoins sattarder sur létude originale consacrée par Jean-Marc Largeaud à la mémoire de la bataille de Waterloo, qui clôt louvrage. Dans une perspective assumée dhistoire culturelle, celui-ci se propose danalyser le cheminement par lequel la bataille qui a scellé le sort du premier Empire est devenue, au cours du XIXe siècle, larchétype dune étrange figure de la «défaite glorieuse» promise à un bel avenir. Les vaincus du siècle en 1830, en 1848, en 1851, en 1870 sen réclamèrent, faisant du «vaincu de Waterloo» un héros digne destime, appelant autour de lui les autres grands vaincus du passé : Vercingétorix, Jeanne dArc ou Montcalm. Il est ainsi remarquable que, bien avant Sedan, Napoléon III, cherchant à mettre ses pas dans ceux de Napoléon Ier, ait participé de cette «culture de la défaite» identifiée par Jean-Marc Largeaud, en faisant surgir le triptyque Vercingétorix-César-Alésia.
Au total, donc, un livre utile et très stimulant, même si sa fonction est assurément plus programmatique que récapitulative. Force est de constater, en effet, que sur les seize auteurs, on compte très peu de spécialistes du seul Premier Empire, mais beaucoup de compétences acquises ailleurs et mises ici au service de létude des années 1800-1815. On ne peut certes que sen réjouir, dans la mesure où lhistoire de ces années se trouve incontestablement revivifiée par des problématiques et des méthodes venues dailleurs. Reste que ces «voies nouvelles pour lhistoire du Premier Empire» attendent encore les historiens qui, par des thèses ou des travaux de grande ampleur, sauront les parcourir jusquau bout.
Sylvain Venayre ( Mis en ligne le 08/10/2003 ) Imprimer
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