Philippe Erlanger Richelieu Perrin - Tempus 2006 / 12 € - 78.6 ffr. / 857 pages ISBN : 2-262-02483-9 FORMAT : 11 x 18 cm
Lauteur du compte rendu : Rémi Luglia, professeur agrégé dHistoire et interrogateur en deuxième année dans une classe préparatoire commerciale, est doctorant à Sciences-Po Paris où il mène une recherche sur lhistoire de la protection de la nature en France de 1854 à nos jours à travers le mouvement associatif. Imprimer
Quand on parle de Richelieu, il est dusage de faire osciller les commentaires entre la légende noire propagée par Alexandre Dumas et une légende dorée qui en fait le héraut de la raison dEtat salvatrice dune France déchirée par les religions. Ici, tout en ne masquant pas une certaine admiration pour le Cardinal, Philippe Erlanger brosse un portrait complet qui ne cache pas les côtés sombres du personnage. Tout y est, en 850 pages dune monumentale biographie chronologiquement présentée.
La vie de Richelieu nous est retracée dans le moindre détail et cela ne laisse pas dêtre étonnant tant la réalité proposée peut sembler télescoper la légende. Malade permanent, presque souffreteux parfois, fréquemment déprimé et abattu, et même désespéré, nous sommes bien loin du tout-puissant ministre à la police omniprésente qui tire infailliblement les fils de la gouvernance monarchique. Armand du Plessis de Richelieu est avant tout un homme, et ce nest pas le moindre des mérites de Philippe Erlanger de nous le donner ainsi à voir. Au fil de louvrage on peut suivre les évolutions du personnage dans sa vie personnelle. Peut-être Philippe Erlanger accorde-t-il trop de crédit et dimportance aux sentiments amoureux et charnels du Cardinal avec certaines femmes de la cour. Léternelle rivalité avec Mme de Chevreuse ainsi que les mésententes (cest un euphémisme) avec Anne dAutriche sont présentées comme ayant un lien fort voire essentiel, même si pas exclusif, avec un désir déçu ou insatisfait, en tout cas un charme qui nopère pas. Car enfin, ce charme a quand même bien fonctionné puisquil a conduit le Cardinal dans les bras de Marie de Médicis, au figuré mais sans doute aussi au propre
En faire un élément déterminant dans lascension puis le gouvernement de Richelieu est sans doute à nuancer.
Quoi quil en soit, il est agréable de trouver dans cette biographie, finement tissées, à la fois la vie privée et la vie publique du Cardinal. Lune et lautre séclairent mutuellement tant il est vrai quau temps des balbutiements de la monarchie absolue la pensée et laction de certains hommes pouvaient savérer déterminantes. Ainsi, on perçoit bien ce qui sera le ressort perpétuel de Richelieu : parvenir au pouvoir par ambition personnelle certes mais aussi par volonté dappliquer une politique de souveraineté seule capable de préserver lunité interne malmenée par les conflits religieux, la féodalité resurgie et la vacance monarchique, et assurer ainsi la prépondérance française en Europe face aux Habsbourg dAutriche et dEspagne.
Vie privée et vie personnelle sont intimement liées car si Louis XIII confie à Richelieu le gouvernement, cest pour quil applique une politique conforme à ses vues générales ; mais cest aussi par choix de la personne. Cette fidélité croisée sera clairement manifeste lors de la Journée des Dupes qui scellera lalliance des deux hommes. Philippe Erlanger suit le parcours du temps, seule position tenable pour une biographie aussi précise et de cette importance. Cette histoire événementielle ne lempêche heureusement pas de faire preuve de talents danalyse et chaque moment est bien replacé dans la complexité de son contexte et de ses enjeux.
Peut-être Philippe Erlanger brosse-t-il dun trait parfois un peu trop vigoureux les caractères des uns et des autres. Marie de Médicis est peinte comme une mégère hystérique et quasi dégénérée. On peut la penser plus fine politiquement et plus subtile dans ses intrigues que simplement téléguidée et ballottée par les uns ou les autres. Buckingham est burlesque en amoureux obnubilé par ses désirs dAnne dAutriche. Louis XIII, par contre, est assez bien pesé. Son caractère à la fois indécis et résolu, sa grande piété et son attachement raisonné et inflexible à la raison dEtat et à ses devoirs de souverain, sa timidité et son isolement au sein de sa propre Cour sopposant à son aura magnifique de roi de guerre aimé de ses soldats, rarement la France aura eu un souverain à la psychologie aussi complexe. Et cest de lui que Richelieu devra tirer tout son pouvoir et ce en permanence sous peine de connaître le sort de Concini, image terrifiante sil en est pour le Cardinal. Cest le fonctionnement de ce système «soleil-satellite» (mais qui est le soleil ? qui est le satellite ?) qui est au cur de lanalyse de Philippe Erlanger, à très juste titre.
Au terme de ce parcours riche et dense, écrit dans un style agréable et recherché, Armand du Plessis de Richelieu nest plus une icône mais un «Principal ministre» avec une volonté déterminée et une vision de la monarchie française annonciatrice de labsolutisme louis-quatorzien.
Rémi Luglia ( Mis en ligne le 04/10/2006 ) Imprimer
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