Daniel Dessert Tourville Fayard 2002 / 23 € - 150.65 ffr. / 380 pages ISBN : 2213599807 Imprimer
Aux yeux de Saint-Simon et de Daniel Dessert, Anne Hilarion de Costentin, chevalier de Tourville (1642-1701) et vice-amiral de Louis XIV, était le plus grand homme de mer qui eût jamais été. Malheureusement pour la mémoire de celui-ci, ce point de vue nétait pas partagé par tous, et les contemporains du duc mémorialiste et lhistoriographie ont longtemps préféré Abraham Duquesne, Dieppois huguenot anobli, au Normand dancienne noblesse. Aussi Daniel Dessert prend-il le contrepied de lhistoriographie selon son habitude et, après avoir vigoureusement instruit le procès de Colbert (Colbert ou le serpent venimeux, éditions Complexe, 2000), il entend écrire, selon ses propres termes, non "une biographie supplémentaire, mais une explication, au regard dinformations débarrassées des badigeons de la tradition et du préjugé, qui sinscrit dans lhistoire générale de la marine française et du XVIIe siècle". Utile précision qui annonce dès lintroduction le ton polémique et vigoureux de louvrage. De fait, Daniel Dessert a pour objectif prioritaire de montrer en quoi Tourville était lun de ces grands marins qui ont tant fait défaut à la marine française.
La réussite de ce cadet dune famille liée aux Condés pendant la Fronde, sexplique, selon lauteur, outre par les besoins dune marine nécessiteuse en officiers, par son entrée dans lentourage de son lointain parent Colbert, contrôleur des finances, fonction à laquelle est rattachée la Royale. Elle sexplique surtout par la formation du chevalier de Tourville. Ce dernier fait son amarinage comme novice de lOrdre de Malte en chassant les corsaires barbaresques et les navires de commerce musulmans, à linstar de quelques futurs autres officiers de Louis XIV. Devenu lui-même officier, il complète son expérience par sa participation à lexpédition contre Candie (1666), à la guerre de Hollande (1672-1679) mais aussi par son intérêt constant envers les questions techniques relatives à la construction, larmement et aux combats navals. Questions capitales dont Tourville prend encore plus conscience après le naufrage catastrophique de sa division en octobre 1679.
Pour Daniel Dessert, ce "Naufrage salvateur" (chapitre V) constitue un tournant décisif dans la vie du vice-amiral en devenir. En premier lieu, sa responsabilité ny est pas impliquée. En second lieu, le drame amène Tourville à sinterroger encore davantage sur les conditions matérielles de laccomplissement de son travail. Dès lors, tout en participant aux trop nombreuses guerres du Roi-Soleil, Tourville na de cesse dessayer de faire prendre conscience des limites et des manques de la Royale à Colbert, puis à son fils Seignelay et à Ponchartrain qui lui succèdent. Sa prudence à la mer lui vaut de voir sa victoire de Béveziers (10 juillet 1690) quelque peu rabaissée mais aussi sa défaite de La Hougue (29 et 30 mai 1692) magnifiée, prélude à la fin dune vie qui le ramène à une guerre navale économique plus proche de celle quil avait pratiquée pendant son noviciat, avant de mourir à Paris en mars 1701, non sans avoir connu l"Ultime naufrage" (chapitre XII) de son mariage.
Ce dernier chapitre constitue dailleurs lun des rares passages du livre que Daniel Dessert consacre à la vie privée de Tourville. Le lecteur en était averti dès lintroduction, cette biographie nen est pas vraiment une, pour la bonne raison que les sources sont extrêmement lacunaires, nombre de papiers privés ayant été détruits peu après le décès de lépouse de lamiral. Il en résulte des digressions plus ou moins longues qui remplissent bien leurs fonctions explicatives quand elles traitent de la marine, mais font double emploi avec La Royale (Fayard, 1996), ouvrage fondamental du même auteur, et qui, quand elles sont dévolues à larmement du corso maltais, nexpliquent en rien la formation de Tourville à Malte.
Surtout, ce Tourville nest pas vraiment une biographie, parce que lauteur entend montrer quel grand marin était Tourville. Dabord en dénonçant les incohérences des politique et stratégie navales de Louis XIV. Ce procès fait au roi conduit paradoxalement à revaloriser le travail des Colbert, redevenu couleuvre. Pour compléter sa démonstration, Daniel Dessert sacharne à détruire limage dAbraham Duquesne (1610-1688) sur lequel il tire à boulets rouges, le dépeignant, à de multiples reprises, comme chicaneur et prétentieux, fielleux et méchant, dénonçant son manque de performance voire sa nullité et son incompétence. Si cet abordage en partie excessif nest pas sans donner un effet comique involontaire, celui-ci disparaît quand Daniel Dessert sattaque sans le nommer à Michel Vergé-Franceschi, dernier biographe du Dieppois (Abraham Duquesne, huguenot et marin du Roi-Soleil, France-Empire, 1992) qualifié de "spécialiste de la notice héroïco-biographique maritime". Daniel Dessert règle donc ses comptes au travers de son Tourville. Cest pour le moins gênant !
Passé ce désagrément que rien ne justifie ni nexcuse, Tourville, sil ne remplit pas le rôle des biographies de cette collection il en diffère dailleurs par labsence d'annexes : ni chronologie, ni tableaux généalogiques qui eussent été fort utiles pour resituer les composantes des soutiens du vice-amiral -, nen demeure pas moins un livre utile pour la compréhension de la Royale au XVIIe siècle. Cette ambivalence, ni biographie, ni étude thématique, conduit à renforcer ce qui semble être la réelle nature de ce livre : un brûlot à lencontre dune historiographie jugée à tort ou à raison comme thuriféraire du Grand Siècle.
Hugues Marsat ( Mis en ligne le 26/03/2002 ) Imprimer
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