Thierry Sarmant Martin Barros Nicole Salat - L'intelligence du territoire Ed. Nicolas Chaudun 2006 / 45 € - 294.75 ffr. / 175 pages ISBN : 2-350-39028-4 FORMAT : 25,0cm x 34,0cm
Préface de Jean Nouvel.
Thierry Sarmant collabore à Parutions.com. Imprimer
Trois auteurs, trois spécialistes, livrent un Vauban sous-titré lintelligence du territoire. Nicole Salat, historienne et archiviste de larme du génie, scrute le Vauban architecte. Martin Barros, historien des fortifications, dévoile le Vauban maître de la poliorcétique. Thierry Sarmant, conservateur du patrimoine et historien du Grand Siècle, étudie le Vauban administrateur, le Vauban politique et le Vauban de la légende. En cinq chapitres («Vauban dans la monarchie du Grand Siècle» ; «Le preneur de villes» ; «La ceinture de fer» ; «De lingénieur au politique» et «Linvention du grand homme»), cette biographie se veut neuve dans son appréhension du personnage. Et sans attendre, disons le, cet essai est une réussite.
Loin dériger un nouveau monument à la gloire du grand homme, les auteurs ont pour but de montrer Vauban dans son monde et dans son temps, au travail et avec ses chefs, ses collaborateurs, ses secrétaires, ses plans et ses papiers. Le célèbre ingénieur ne sest pas fait tous seul, il a servi un roi, une administration, une politique. Ce «Vauban au travail» vient compléter les quelques ouvrages qui, depuis une dizaine dannées, ont renouvelé son historiographie scientifiquement et ont tordu le coup à la légende. Luvre, les correspondances, les écrits et les plans de Sébastien Le Prestre sont le socle de létude, qui, par ailleurs, ne néglige pas les écrits de Louis XIV, de Colbert et de Louvois.
Si peu de choses sont connues de lenfance de Sébastien Le Prestre de Vauban, ses carrières de militaire, dingénieur et décrivain ont constitué une masse darchives, fruit dun homme qui, sans clientèle et sans argent, a fait carrière dans lEtat monarchique. Baptisé en 1633, le jeune Vauban entra en 1651 comme cadet dans le régiment dinfanterie du prince de Condé, chef du parti frondeur. Comme beaucoup de Bourguignons de sa génération, Vauban fut en enfant de la Fronde. Ses compétences techniques furent utilisées par ses chefs. Ils le chargèrent de réparation douvrages, puis en 1652 il fut envoyé au siège de Saint-Ménehould. En 1653, il rallia les royaux et au côté du chevalier de Clerville, ingénieur du roi, il assiégea à nouveau Saint-Ménéhould, mais cette fois-ci pour le roi. Après la capitulation de la place, Vauban fut nommé lieutenant au régiment de Bourgogne appelé aussi «régiment des repentis». Placé à la suite de Clerville, il participa les années suivantes à pas moins de six sièges. Nommé capitaine, puis ingénieur ordinaire en 1655, ses responsabilités saccrurent et il conduisit lui-même trois sièges lors de la guerre contre lEspagne en 1658. La paix signée, Sébastien Le Prestre resta au service de Clerville qui fut nommé commissaire général des fortifications en 1659. Vauban, homme de la génération du roi Louis, de Louvois, de Le Peletier de Souzy et dautres grands commis, fut dabord employé en Lorraine, puis en Alsace pour diriger des travaux, où il fut certes remarqué comme bon ingénieur sans néanmoins apparaître comme le meilleur.
Le tournant de sa carrière date de 1667 lors de la guerre de Dévolution. Reconnu pour sa bravoure, il reçut une lieutenance au régiment des gardes françaises. De cette époque date sa rencontre décisive avec François-Michel le Tellier, marquis de Louvois, jeune secrétaire dÉtat de la Guerre. Ce dernier préféra le projet de Vauban à celui de Clerville, membre de la clientèle des Colbert, pour la nouvelle citadelle de Lille. Lannée 1667 vit donc Sébastien Le Prestre entrer dans la clientèle de Louvois. Nommé en 1668 gouverneur de la citadelle, nouvelle étape de son ascension, Vauban devint le conseiller privilégié de Louvois pour tout ce qui concernait la fortification. Il lui fut complètement soumis aux volontés du secrétaire dÉtat de la Guerre. Cependant, la franchise était de mise entre les deux hommes, comme le montre toute leur correspondance, largement exploitée ici. Cest durant la guerre de Hollande, au siège de Maëstricht de juin 1673, que Vauban gagna une reconnaissance européenne. La prise de Maëstricht en treize jours apporta à lingénieur célébrité et fortune. Les sièges qui suivirent assirent cette gloire, à tel point que Colbert et Seignelay lui donnèrent pratiquement la même position dans leur département de la Marine que celle quil tenait dans le département de la Guerre. En 1674, ce «meilleur ingénieur de ce tems» accédait au grade de brigadier dinfanterie, en 1676 devenait maréchal de camp et en 1678 succédait à Clerville dans la charge de commissaire général des fortifications. Quand sacheva la guerre de Hollande, Vauban avait acquis un droit de regard sur toutes les fortifications du royaume. Durant dix années, il entreprit des travaux sur toutes les frontières du territoire et acquit un ascendant sur tous les ingénieurs du royaume. A côté de ces travaux techniques, Vauban donna à Louvois dès 1673 des avis intéressant la politique générale, ne sattirant pas toujours les bonnes grâces de son protecteur. Dans ces écrits, Vauban traita entre autres de haute stratégie, de la défense de Paris, des huguenots, de la bonne administration, de la fiscalité
En 1688, à lapproche dun conflit européen, il fut nommé lieutenant général des armées du roi. La guerre de siège reprit et à nouveau Sébastien Le Prestre se distingua. En 1690, à la mort de Seignelay, Louvois devint le seul maître des fortifications du royaume et Vauban le confident indispensable. Mais le 16 juillet 1691, Louvois mourut, laissant le précieux conseiller et le meilleur ingénieur sans relais pour être écouté du roi.
Vauban ne trouva pas la même connivence avec ses successeurs. Quelques jours après la mort de Louvois, le roi détacha les fortifications du département de la Guerre et créa un département des Fortifications à la tête duquel il plaça Michel Le Peletier de Souzy, avec le titre de directeur. Si la collaboration du directeur des fortifications et du commissaire général fut sans heurt, elle nattint jamais celle de Vauban avec Louvois. Ladministrateur réussit néanmoins à amadouer le technicien et leurs rapports furent toujours cordiaux. Il nen fut pas de même entre Vauban et le nouveau secrétaire dÉtat de la Guerre, Barbezieux, fils de Louvois, qui conservait dans ses prérogatives le contrôle des opérations militaires. Ainsi Vauban séloigna de la famille Le Tellier pour nouer de liens avec dautres grandes familles ministérielles, et en particulier les Pontchartrain. Louis Phélypeaux de Pontchartrain, contrôleur général des Finances en 1689, succéda à Seignelay comme secrétaire dEtat de la Maison du roi et de la Marine. Même si il avait perdu ses prérogatives en matière de fortifications des places maritimes, Pontchartrain ne pouvait sen désintéresser complètement. Cest ainsi quil correspondit avec Vauban à sujet. Par la suite, il envoya son fils auprès du commissaire général pour le former. Le lien fort qui sétablit entre le père et le fils dun côté et Vauban de lautre ne se démenti jamais et ce jusquà la mort de ce dernier. A la mort de Barbezieux en 1701, Michel Chamillart devint à son tour secrétaire dÉtat de la Guerre. Ses rapports avec Vauban furent plus chaleureux que ceux de son devancier.
De 1691 à 1707, année de sa mort, Vauban continua ses activités de guerrier et de bâtisseur. En 1694, il reçut pour la première fois le commandement militaire de troupes de manuvre, celles de Basse-Bretagne, et avec elles repoussa un débarquement anglais à Camaret. En 1697, il redevint ingénieur de tranchée. Dans le même temps il continua à bâtir. Dans les années 1690, la position de Vauban dans la société et dans lÉtat sétait considérablement élevée. Fait grand-croix de lordre de Saint Louis en 1693, membre de lAcadémie des sciences en 1699, maréchal de France en 1703 et chevalier de lordre du Saint-Esprit en 1705, il obtint tous les honneurs. Et depuis 1691, il correspondait directement avec le roi. Il était conseiller du prince, mais un conseiller parmi dautres. Sa voix navait-elle pas plus de poids lorsquelle était lécho de celle de son maître Louvois ? Les auteurs de louvrage le soulignent. Si certains avis furent mal reçus, dautres, notamment, malgré la légende, ceux en matière fiscale reçurent un bon accueil du roi.
Cet ouvrage déroule donc sous nos yeux la carrière exceptionnelle de Vauban. Bien sûr, la technicité de ses fonctions fut un frein à sa nomination comme maréchal de France, quil obtint tardivement, mais elle fut aussi essentielle à la formation du philosophe et du conseiller quil devint. Agrémenté dillustration de plans et délévations souvent inédits, doté dun glossaire technique, dune chronologie de lhomme et de sa légende, dun état des sources ainsi que dun état des sièges où lingénieur fut présent, Vauban : lintelligence du territoire marquera sans nul doute lhistoriographie du grand homme par lapproche qui y est faite de sa carrière. Derrière la légende il y avait un ingénieur au travail, derrière le mythe il y a un technicien rigoureux devenu un penseur insatiable. On regrettera labsence de notes de bas de pages
mais beau livre oblige !
Michel Roucaud ( Mis en ligne le 11/05/2007 ) Imprimer |