Olivier Chaline L'Année des quatre dauphins Flammarion - Champs 2011 / 8 € - 52.4 ffr. / 218 pages ISBN : 978-2-08-124962-2 FORMAT : 11cmx18cm
Première publication en septembre 2009 (Flammarion - au fil de l'Histoire)
L'auteur du compte rendu : Archiviste-paléographe, docteur de l'université de Paris I-Sorbonne, conservateur en chef du patrimoine, Thierry Sarmant est responsable des collections de monnaies et médailles du musée Carnavalet après avoir été adjoint au directeur du département des monnaies, médailles et antiques de la Bibliothèque nationale de France. Il a publié Les Demeures du Soleil, Louis XIV, Louvois et la surintendance des Bâtiments du roi (2003), Vauban : l'intelligence du territoire (2006, en collaboration), Les Ministres de la Guerre, 1570-1792 : histoire et dictionnaire biographique (2007, dir.). Imprimer
Au commencement du XVIIIe siècle, Louis XIV pouvait se flatter dêtre le souverain dEurope le mieux pourvu en descendance : un fils, trois petits-fils, trois arrière-petits-fils, pour ne rien dire des filles, des petites-filles et des enfants bâtards ou légitimés. Pour la première fois depuis un siècle, la succession au trône de France semblait solidement assurée. Quand le grand roi mourrait, un prince adulte lui succèderait et lon ne reverrait plus lépoque troublée des régences.
En lespace dune année, tout ce bel édifice sécroula. Le 11 avril 1711, le grand dauphin, que lon désignait sous le nom de «Monseigneur», succomba à la petite vérole. Le petit-fils du roi, le duc de Bourgogne, succéda alors à son père comme dauphin de France. Le 12 février 1712, une fièvre mal identifiée emporta la duchesse de Bourgogne, suivie par son époux le 18 février suivant. Le titre de dauphin passa à leur fils aîné, le duc de Bretagne, qui mourut trois semaines plus tard, le 9 mars. Lhéritier du trône devint alors son frère cadet, le duc dAnjou, né en 1710. Ainsi entre Pâques 1711 et Pâques 1712 la France eut-elle successivement quatre dauphins. Par miracle, le dernier dentre eux survécut, succéda à son arrière-grand-père et régna sous le nom de Louis XV.
Olivier Chaline retrace la vie de la Cour de France pendant cette année ponctuée de morts illustres. Cest dabord pour sintéresser à ces décès eux-mêmes. À lire les relations des maladies des intéressés et les témoignages qui ont pu subsister de leur autopsie, les rumeurs dempoisonnement qui ont couru à lépoque et qui visaient spécialement Philippe dOrléans, le futur Régent ne semblent pas justifiées. Lauteur replace avec raison ces décès dans une ambiance dépidémies infectieuses qui parcouraient tous les milieux à Paris et à Versailles. La même année que les dauphins, des «maladies de venin», des «rougeoles», terrassent le marquis de Seignelay, Mme de Mailly, Mme de Louvois et bien dautres.
À lapproche de chacune de ces morts, se noue un drame sacré. Dans la France catholique du roi-soleil, il importe avant tout dassurer le respect des rites qui doivent assurer au moribond le chemin du ciel : confession, absolution, communion, extrême-onction. Une partie se joue alors entre religion et politique, car lancer trop tôt ces saintes procédures, avant que le danger ne soit pressant, cest risquer de mettre le trouble dans lÉtat. Le choix du passeur a aussi son importance : en préférant un simple prêtre de la Mission à son confesseur jésuite, la duchesse de Bourgogne fait un geste qui peut être interprété comme un désaveu pour son beau-père.
Au-delà des princes terrassés, un seul homme attire tous les regards : Louis XIV. Car les quatre morts de 1711-1712 peuvent passer pour un châtiment infligé par Dieu au souverain. LEurope protestante ne se fait pas faute dy voir un juste retour des persécutions infligées aux Huguenots ; la France sinterroge sur ces malheurs privés succédant aux désastres de la guerre de Succession dEspagne. Le roi lui-même, jusque-là si sûr de sa cause, nest pas loin de penser quil paie, par parents interposés, pour ses désordres passés.
Face à ces épreuves militaires et domestiques, la philosophie politique de Louis XIV a évolué. Au printemps 1712, Mme de Maintenon a résumé ce changement en une formule frappante : «Désormais, la France est son unique famille et au moins aussi chère que celle quil a perdue». Louis XIV pense même sacrifier Philippe V, son petit-fils qui règne sur lEspagne, au salut de son royaume. Devant les revers qui saccumulent, le roi doit mettre les intérêts de lÉtat avant ceux de la dynastie.
Loin dêtre la période dimmobilisme que lon a parfois décrite, la dernière décennie du règne de Louis XIV, trop rarement étudiée jusquici, est donc un des moments où sest affirmée la conception moderne de lÉtat.
Thierry Sarmant ( Mis en ligne le 30/08/2011 ) Imprimer |