Alexandre Maral Le Roi-Soleil et Dieu - Essai sur la religion de Louis XIV Perrin - Tempus 2015 / 9 € - 58.95 ffr. / 384 pages ISBN : 978-2-262-05133-4 FORMAT : 11,0 cm × 17,8 cm
Première publication en avril 2012 (Perrin - Pour l'Histoire)
Marc Fumaroli (Préfacier)
L'auteur du compte rendu : Agrégé et docteur en histoire, Alexandre Dupilet est professeur dans le secondaire. Imprimer
Difficile de trouver historien moderniste plus prolifique quAlexandre Maral. Après une biographie remarquée de Mme de Maintenon et un admirable ouvrage sur la chapelle royale de Versailles, linfatigable auteur signe avec ce Roi-Soleil et Dieu une contribution essentielle et nécessaire à lhistoriographie louis quatorzienne. Comme il le souligne dans son introduction, les rapports entre Louis XIV et la religion navaient jamais été traités sur lensemble du règne et dans leur globalité.
Le sujet est envisagé sous tous ses aspects. Cest dabord de la vie religieuse publique du roi, dont il est question : les messes, les communions, les nombreuses cérémonies et obligations religieuses sont ici scrupuleusement décrites et analysées. Loin dêtre la seule manifestation de la piété du souverain, elles remplissent une fonction dédification et jouent un rôle essentiel dans la construction de limage du roi de gloire et de son pouvoir dessence divine. Un vif intérêt est également porté à la piété intime du Roi-Soleil, à lévolution intérieure de son rapport à la religion, qui de jeune souverain multipliant les conquêtes le fit se transformer en prince dévot. Son chemin vers la sainteté, dont les principaux guides furent Mme de Maintenon et Bossuet, fut semé dembûches et de rechutes mais sacheva sur lapothéose dune agonie et dune mort édifiantes. Lauteur consacre enfin une large partie de son livre à la politique religieuse et sattache à en expliciter les principales décisions en les remettant dans leur contexte : le gallicanisme, les relations houleuses avec le pape Innocent XI, la remise en cause de lédit de Nantes, le travail au sein du Conseil de conscience, la politique étrangère analysée au prisme de la religion, aucun aspect nest éludé.
Si le sujet nest pas des plus simples à traiter et nécessite lusage dun vocabulaire savant, Alexandre Maral semploie à rendre son récit très vivant. Il cite régulièrement les traités de cérémonie et nous fait redécouvrir la richesse des Mémoires pour lInstruction du Dauphin, texte si célèbre quon en oublie parfois quil constitue une véritable mine dor pour les chercheurs. Si le sources sont classiques, les conclusions sont souvent originales. Lauteur reconnaît quil y a bien eu, après laffaire des poisons, un changement dans le comportement religieux du Roi-Soleil mais il précise quil est absurde dopposer le Louis XIV voluptueux des jeunes années à celui de la fin du règne ; sa vie durant, le Très-Chrétien remplit avec zèle et surtout sincérité ses obligations religieuses. Très souvent dailleurs, le roi sacquittait dactes de piété qui sortaient du cadre strict du calendrier des dévotions publiques. Sa passion privée pour les reliques montre bien que ses actes religieux ne sauraient être réduits à une manifestation publique de sa dévotion, destinée uniquement à renforcer et justifier son pouvoir politique. De même, les analyses sur la révocation de lédit de Nantes sont pénétrantes. Alexandre Maral montre bien que lédit de Fontainebleau est laboutissement dune longue entreprise de répression du protestantisme. Il considère également que la révocation de lédit de Nantes fut «à bien des égards» une «mesure fiscale» : les conversions au catholicisme librement consenties étaient, pour ainsi dire, récompensées par des exemptions dimpôts. Mais ces conversions furent si nombreuses quil devenait impossible de les financer. Il était donc plus simple dinterdire la pratique publique du protestantisme.
Sur certains points, cet ouvrage suscitera le débat. Lauteur ne manque pas dhumour et ne sinterdit pas à loccasion de lancer quelques provocations et traits desprit anachroniques - suivant en cela lexemple de la préface signée par Marc Fumaroli - notamment lorsquil écrit au sujet du toucher des écrouelles ou du lavement des pieds le jeudi saint, «quils supposaient et imposaient une humilité dont aucun chef dÉtat aujourdhui ne serait disposé à faire la démonstration». On ne peut quacquiescer tout en songeant que la réactualisation dun tel cérémonial apparaîtrait peut-être décalé dans le cadre dune présidence normale et en observant quaujourdhui, la visite des hôpitaux et des malades sest perpétuée devenant le domaine réservé de la première dame
., lorsquelle consent à tenir son rang.
Mais ce sont surtout les développements consacrés à la politique religieuse qui seront discutés par les spécialistes du Grand Siècle. Alexandre Maral adopte une perspective que lon qualifiera de bluchienne (voir Louis XIV de François Bluche aux éditions Fayard), et qui ne sera pas du goût de tous, en ce quelle justifie habilement la lutte contre les hérésies ou dédouane Louis XIV de la violence de certaines décisions. Comme nous lavons écrit, lanalyse de lédit de Fontainebleau est parfaitement recevable mais elle en élude tout le versant dramatique ; il est principalement rappelé que cette décision provoqua un concert de louanges, quelle rétablit lunité de la France et que Louis XIV estimait sincèrement quavant même la révocation, le protestantisme avait été éradiqué du royaume. Les excès de la bulle Unigenitus, exigée par le roi pour terrasser le second jansénisme et qui condamna en 1713 cent une propositions des Réflexions morales de Quesnel, sont entièrement attribués au cardinal Fabroni. Lorsquelle fut portée à la connaissance de Louis XIV, il était alors trop tard pour la rejeter. Quant à la coterie quiétiste, elle pouvait conduire à affaiblir le pouvoir royal, à remettre en cause la sécularisation du domaine politique et à transformer la France en théocratie. Fénelon est ainsi présenté, de manière quelque peu uniforme, comme un dangereux affabulateur opinion dailleurs largement répandue à lépoque doublé dun conspirateur ranci par ses échecs répétés et ses espoirs déçus.
Mais quon ne se méprenne pas. Si elles émettent une réserve sur certaines interprétations proposées pas Alexandre Maral, ces observations ne constituent en rien une critique négative. Tout au contraire, il est méritoire et salutaire quon publie des ouvrages qui stimulent la réflexion, provoquent la discussion, affirment avec panache un véritable point de vue faisant fi des réactions parfois vives qui ne manqueront pas de se manifester dans la communauté universitaire.
Alexandre Dupilet ( Mis en ligne le 03/11/2015 ) Imprimer
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